Le débat sur le phénomène de fraude aux examens du Baccalauréat n’est pas un fait nouveau en Algérie. Ce qui pose, par contre, problème ce sont les moyens de dissuasion adoptés par les pouvoirs publics. Un sujet au demeurant au cœur d’une polémique. La parade consiste à couper le réseau internet dans tout le pays pendant l’heure qui précède chaque épreuve de cet examen. En tant qu’expert dans le domaine des Nouvelles technologies de l’information et de la communication, Karim Khelouiati, à travers l’ entretien qui suit, donne son avis sur le recours à la suspension généralisée de l’internet. Il en évoque les limites, parle d’un impact négatif sur la vie économique et préconise, en lieu et place, d’autres solutions techniques. Une alternative qu’il juge moins couteuse à l’État et plus efficace pour débusquer les fraudeurs.
-Le Courrier d’Algérie: Comme vous le saviez, les autorités compétentes, sur aval du gouvernement, ont décidé de bloquer l’accès au réseau Internet pendant l’examen du Baccalauréat. En tant que spécialiste du domaine des TIC, quelle appréciation faites-vous de cette mesure?
-Karim Khalouiati: J’estime que c’est une aberration. On a opté pour la méthode la plus facile quand on ne veut pas réfléchir pour essayer de trouver une solution pour contrer la fraude aux examens. Nous sommes en 2018, que nous le voulons ou non, nous vivons à l’intérieur d’un village mondial. C’est-à-dire, nous sommes liés par des interactions électroniques, jour et nuit, avec le reste du monde. De ce fait, couper l’internet au niveau national, c’est répondre tout bonnement par l’abdication.
-À l’instant même où nous échangions avec vous, vous constateriez bien des perturbations sur le réseau…Au-delà des désagréments causés aux usagers particuliers, les ministères de l’Éducation et de la PTIC ont évacué tout impact négatif sur les professionnels. Soit, sur la vie économique du pays. Êtes-vous du même avis?
-Non ! Je ne partage pas le même avis. Il y a bel et bien un impact négatif sur la vie économique. L’arrêt total de l’internet à l’échelle d’un pays est imperceptible aux yeux du commun des mortels. Car, cette mesure handicape tout système utilisant l’internet. Les exemples sont multiples. Prenons les cas des cameras de surveillances IP (utilisant le protocole internet). Ou encore, les transactions monétaires entres pays, la navigation aérienne, les plateformes gouvernementales, pour ne pas parler du privé, les nombreux systèmes de « backup cloud » (sauvegarde des données) privés et surtout les systèmes d’assistance médicales, où il peut y avoir des pertes humaines. Donc, il ne faut pas se voiler la face. En tout cas, c’est la pire décision prise dans l’ère numérique de l’Algérie.
-Vous parlez bien d’un impact négatif. À combien vous évalueriez-vous approximativement les pertes en conséquence ? La compagnie «Air Algérie», comme d’autres entreprises, dont une agence à Alger s’était plainte auprès de ses clients pour un souci de réservation en ligne, pourrait peut-être nous servir d’exemple…
-Pour donner un chiffre exact, il faudrait avoir une vue d’ensemble. Chose que nous ne pourrons pas avoir, puisque les statistiques nous parviennent au compte-gouttes. Même lorsqu’elles nous parviennent, leur véracité et leur authenticité prêtent à confusion.
– En votre honorable qualité, si on venait de solliciter votre expertise, quelles solutions préconiseriez-vous aux pouvoirs publics, qui prétendent dissuader les fraudeurs aux examens du Bac, au lieu de recourir à une coupure générale ? Y a-t-il une solution alternative, c’est à dire moins pénalisante?
-En tout cas, couper l’internet n’est pas une solution. Même si, il y a entre autre une vulgarisation sur le fait de frauder aux examens. Sur l’idée, je crois que la dissuasion est un bon compromis. Néanmoins, ceci doit passer en l’occurrence par l’investissement dans l’installation de caméras de surveillance. D’autant plus que, le budget est loin de rivaliser avec les sommes allouées chaque année aux surveillants des examens de fin d’année. À plus forte raison que, cet investissement en équipements de surveillance sera rentabilisé en deux années seulement, puisque les caméras sont réutilisables pendant au moins 10 ans. Cette solution pourrait même rendre service aux établissements scolaires. Faire d’une pierre deux coups, en ce sens que ce moyen technique pourrait être employé aussi pour lutter contre la violence en milieu scolaire.
-On dit que c’est un « mal nécessaire ». Au final, aura-t-on à gagner d’un côté plus qu’on perdrait de l’autre?
-Non ! On perd beaucoup plus qu’on en gagne contrairement aux assurances des autorités. Preuve en est que, cette coupure générale de l’internet, aussi petite soit-elle la plage horaire, a été largement évoquée sur les colonnes de la presse nationale et étrangère. Pour cette dernière, j’ai consulté au moins cinq journaux français qui ont consacré des articles sur le sujet. C’est-à-dire, et comme quoi les pertes sont avérées.
– Selon vous, ce recours fait-il exception à l’Algérie? Sinon y a-t-il d’autres pays qui adoptent ce genre de solutions à l’ »extrême »?
-Ce recours n’est pas exceptionnel à l’Algérie. Il y a quelques pays, généralement sous développés, qui adoptent cette mesure. À titre d’exemple, on peut citer la Mauritanie, ainsi que des pays en guerre ou très rentabilisés comme l’Iraq et la Syrie. En revanche, à travers cette coupure générale de l’internet, on exporte une mauvaise image de l’Algérie. Autrement, une idée qui sous entend que 100% de nos candidats à l’examen du Baccalauréat sont des fraudeurs. Ce qui n’est pas bien pour l’image et la crédibilité de l’examen du Bac. Or, ce cliché ne renvoie pas à une vérité car la fraude n’est pas générale en Algérie. À tout casser, il y aurait 2 % qui fraudent et ce n’est pas la mer à boire.
Entretien réalisé par Farid Ghellil