En Irak, le groupe Etat islamique (EI) reprend de la vigueur. Mais s’ils réveillent de douloureux traumatismes là où ils tuent, les jihadistes sont loin d’avoir regagné leur ancien pouvoir de nuisance, assurent les experts.
Et ce, alors même que le contexte est pourtant des plus favorables à leur résurgence: les troupes de la coalition internationale anti-EI se sont retirées d’Irak dans le sillage de la pandémie de Covid-19, le pays n’a depuis cinq mois qu’un gouvernement démissionnaire tout juste en charge des affaires courantes et les forces de sécurité sont occupées à faire respecter le confinement pour éviter une propagation du nouveau coronavirus. Samedi, avant l’aube, l’EI a ainsi pu mener son attaque la plus sanglante depuis des mois contre les troupes irakiennes, et surtout la plus complexe en termes d’organisation. D’après des experts, plusieurs cellules jihadistes se sont coordonnées pour attaquer un check-point, puis faire exploser le convoi venu en renfort. Bilan: 10 morts parmi les forces régulières, en plein mois sacré du ramadan. Certes, depuis que l’Irak a déclaré fin 2017 la «victoire» sur l’EI –au terme de plus de trois années de combats acharnés pour lui reprendre le tiers du pays–, des cellules clandestines terrées dans des zones montagneuses ou désertiques et cachées dans des tunnels n’ont cessé de mener des attaques.
«Niveau inégalé»
Mais, depuis début avril, «les opérations jihadistes ont atteint un niveau inégalé» ces dernières années, affirme à l’AFP le spécialiste du jihadisme Hicham al-Hachémi. Bombes en bord de route, tirs sur des convois policiers, assassinats de représentants de l’Etat, tirs de roquettes sur des villages… Ces opérations, lancées depuis des villages désertés par leurs habitants toujours entassés dans des camps de déplacés, visent à relancer les mécanismes de financement, de contrebande et de caches. Mais aussi à créer la panique en s’en prenant aux infrastructures de l’Etat –réseau d’électricité principalement– et à ses représentants, assure M. Hachémi. Rien que dans la province de Kirkouk –que Bagdad et le Kurdistan autonome se disputent, offrant une brèche sécuritaire–, un officier du renseignement affirme que le nombre d’attaques de l’EI a été multiplié par trois entre mars et avril. L’EI y a même mené un attentat suicide devant le QG du renseignement. Dans la province rurale de Diyala, qui borde Bagdad au nord-est, les agriculteurs qui voient chaque jour champs ou installations agricoles brûler pensent déjà au pire. «Ce qui se passe en ce moment nous ramène en 2014», s’alarme Adnane Ghadbane, dont deux cousins sont à l’hôpital après avoir été touchés par des tirs de jihadistes dans leurs champs. Pour ce dignitaire tribal de Baaqouba, chef-lieu de la province, «les jihadistes profitent du fait que les troupes sont occupées à faire respecter le confinement et qu’ils peuvent se déplacer plus librement». Mais l’EI a aussi de nombreuses autres failles à exploiter dans un pays pris dans la pire crise sociale et politique de son histoire récente, renchérit Fadel Abou Reghif, expert en questions sécuritaires. «L’EI suit la situation politique et, à chaque problème, il en profite pour augmenter ses actions», affirme-t-il à l’AFP alors que déjà deux Premier ministres désignés ont échoué à former un gouvernement et que la mission du troisième s’annonce compliquée.
«Agressif» mais «rudimentaire»
Sur le terrain militaire, les brèches se sont aussi multipliées alors que le département américain de la Défense estimait dans son rapport annuel que les troupes irakiennes n’étaient pas encore en mesure de mener de vastes opérations de renseignement ou en terrain hostile sans l’appui de la coalition. Malgré tout, experts et observateurs sont formels: l’augmentation des attaques ne signifie aucunement que l’EI pourrait de nouveau menacer des villes et des provinces entières comme en 2014. «L’EI ne retrouvera pas son ancienne forme», celle d’un «califat» autoproclamé grand comme la Grande-Bretagne, à cheval sur Irak et Syrie, affirme M. Abou Reghif. Côté coalition, un haut-gradé confirme: «l’EI a mené plusieurs attaques de basse intensité» ces dernières semaines, mais «la hausse n’est pas substantielle». «L’important, ce n’est pas combien d’attaques mais quelle est leur intensité? Sont-elles complexes? Quels équipements, quelles stratégies sont utilisées? La plupart des attaques que nous avons observées étaient rudimentaires», avance-t-il à l’AFP. Quant à imaginer un retour à l’avant-2014, lorsque l’EI préparait son coup d’éclat historique, le chercheur Sam Heller n’y croit pas non plus. La multiplication des attaques n’est pas le boulevard menant au califat, dit-il, mais «une indication que l’EI adopte une posture plus agressive». «Cela ne signifie pas qu’il a des capacités nouvelles ou même impressionnantes».