Le désaveu des citoyens envers leurs dirigeants est consommé en Irak et la menace d’un nouvel embrasement plane, les réformes radicales réclamées par un mouvement marqué par plus de 100 morts n’ayant pas été lancées.
En six jours d’une contestation démarrée le 1er octobre, plus de 100 Irakiens sont morts, en majorité des manifestants fauchés par des tirs à balles réelles, dont les auteurs n’ont toujours pas été arrêtés, ni même identifiés. Pour autant, Mohammed al-Kaabi, diplômé chômeur de 28 ans, se dit prêt à retourner dans la rue à tout moment. «Nous avons manifesté et manifesterons à nouveau pour dénoncer la pauvreté, le chômage et la corruption qui ruinent notre vie», affirme-t-il à l’AFP. Les réunions infructueuses tenues depuis au Parlement ne l’ont pas convaincu, dit-il, pas plus que les mesures sociales –allocation chômage, aide au logement et autres inscriptions en ligne auprès du ministère du Travail– promises par un gouvernement qu’il voulait voir chuter tout entier. «Qu’est-ce que c’est que ces réformes et pourquoi n’ont-elles été annoncées qu’une fois que des jeunes sont morts?», s’emporte-t-il. «Cela fait longtemps que le peuple ne fait plus confiance au gouvernement», ajoute-t-il, car les politiciens «passent leur temps à faire des promesses sans jamais les tenir». Pour Falah al-Khazaali, député du Fatah –une liste d’ex-combattants antijihadistes de la coalition Hachd al-Chaabi, qui soutient le gouvernement d’Adel Abdel Mahdi–, le cabinet actuel «n’est pas responsable des erreurs de ses prédécesseurs. «Mais la poursuite des manifestations dépendra de sa capacité à tenir ses engagements», dit-il.
«Pas une action, une réaction»
Dès le premier jour de la contestation née à Bagdad avant de s’étendre au sud, les manifestants ont conspué leurs gouvernants, dénonçant l’absence d’emplois et de services publics fonctionnels et les accusant de se remplir les poches de l’argent de la corruption –410 milliards de dollars (372 milliards d’euros) en 16 ans, selon des chiffres officiels. Dans un pays où les élections, régulièrement entachées de fraude, sont marquées par une forte abstention, «l’échec du système politique est la principale raison de ce mouvement», explique à l’AFP le politologue Essam al-Fili. Face à des protestataires qui réclamaient des changements radicaux, les listes de mesures proposées ces derniers jours «ne sont pas une action, mais une réaction, sans planification ni stratégie», accuse M. Fili. «Elles viennent seulement pour éteindre l’incendie, mais si rien ne se produit dans les faits, le feu repartira», prévient-il.
«Plus grand et plus fort»
Pour le politologue Wathiq al-Hachémi, le problème est ancien: «la crise de confiance entre le peuple et le pouvoir dure depuis des années, car les gouvernements successifs ont promis des réformes sans jamais les mettre en oeuvre», dit-il à l’AFP. Or, cette fois, à «l’incapacité à conclure les réformes» s’ajoutent selon lui «une crise politique et économique et des allégeances à l’étranger», chaque parti ayant choisi son camp entre l’Iran et les Etats-Unis, les deux puissances agissantes en Irak. Les tensions aiguës entre Téhéran et Washington sont un défi de taille pour un pays voué aux conflits et aux violences depuis quatre décennies. Pour Zine al-Abidine al-Bediri, avocat de 27 ans qui a manifesté à Kout, dans le sud du pays, cette situation appelle un changement total «le système politique, les politiciens et même la Constitution», énumère-t-il. Si le mouvement s’est arrêté avant d’avoir obtenu tout cela, indique-t-il, c’est parce que les manifestants ont trouvé face à eux «les partis politiques et leurs milices». Durant six jours, les manifestants ont été la cible de tireurs que l’Etat a accusé de s’être «infiltrés». Les défenseurs des droits humains estiment que les forces de l’ordre sont responsables. Le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse pour la majorité des chiites d’Irak, a aussi jugé le gouvernement «responsable quand, sous le regard des forces de l’ordre, des tireurs hors-la-loi visent des manifestants et les abattent». En réponse, le gouvernement a créé deux commissions d’enquête, l’une pour faire la lumière sur les morts et blessés, l’autre pour enquêter sur les militaires ayant eu des comportements illégaux. Face à ces tireurs, «les jeunes ont bravé les balles sans peur», affirme M. Bediri. Et si leurs demandes restent lettre morte, «on leur montrera quelque chose d’encore plus grand et plus fort».