« Mes ailes sont brisées »: Norshine et Perwine, deux soeurs kurdes de Syrie, chantent des airs mélancoliques kurdes qu’elles entendent préserver, comme un écho à leur propre destin, elles qui ont quitté Kobané pour la Turquie avant de s’installer au Kurdistan irakien. « Nous aimons la musique folklorique kurde. Elle parle de ce que les Kurdes ont enduré, les guerres, l’émigration, les meurtres », explique Perwine Saleh, 20 ans, qui joue aussi bien du santour (cithare de table), du tambourin que du duduk (flûte arménienne). Perwine et sa soeur Norshine, 23 ans, sont Kurdes de Syrie. En 2014, elles ont fui vers la Turquie, au plus fort du siège de leur ville de Kobané par le groupe Etat islamique (EI). L’année suivante, les combattants kurdes ont réussi à reprendre Kobané aux jihadistes avec le soutien des forces occidentales.
Rentrées chez elles en 2019, Norshine et Perwine ont finalement décidé de refaire leurs bagages en 2022, cette fois par crainte d’une offensive de la Turquie.
Aujourd’hui, elles vivent avec deux de leurs frères à Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan dans le nord de l’Irak. La musique leur permet de faire bouillir la marmite, mais aussi de préserver la mémoire de leur communauté. Cela fait huit ans que les jihadistes ont été chassés de Kobané.
Pourtant, Perwine dit être toujours « hantée » par ses souvenirs de l’EI: « des hommes en noir brandissant des drapeaux noirs qui voulaient faire sombrer nos vies dans le noir ». Un soir de printemps, Norshine et Perwine se produisent en plein air dans un restaurant d’Erbil.
« Je suis une étrangère »
Perwine joue de la flûte arménienne, tandis que Norshine captive le public avec sa voix. « Je suis une étrangère, sans toi, mère, mes ailes sont brisées/ Je suis une étrangère et la vie ailleurs ressemble à une prison », chante-t-elle.
La musique a toujours fait partie de la vie de Norshine et Perwine. Lorsqu’elles étaient petites, avant de dormir leur mère leur chantait un air, accompagnée par leur père et son tambourin.
Leur passage de la Syrie vers le Kurdistan d’Irak les a traumatisées. Avant de les laisser traverser la frontière, les soldats syriens leur ont demandé de leur jouer quelque chose. Et de les mettre en garde: s’ils n’aimaient pas ce que les deux sœurs jouaient… ils leur confisqueraient leurs instruments. « Nous avons joué en pleurant. Quand nous avons fini, ils ont souri et dit : +maintenant vous pouvez passer+ », se remémore Norshine. A Erbil, le duo se produit généralement au restaurant Beroea.
Ryad Othmane, l’un des propriétaires qui est lui-même Kurde de Syrie, dit ne « pas être surpris » d’apprendre que les sœurs ont bravé mille dangers pour s’enfuir de Kobané. Les Kurdes « ont passé toute leur vie à fuir », souffle-t-il.
Norshine et Perwine ne rêvent que d’une seule chose: pouvoir rentrer chez elles. « J’espère que la guerre finira bientôt pour que nous soyons enfin libres », dit Norshine. « En rentrant, nous pourrons jouer de la musique et l’apprendre aux enfants ».