L’Inde était ébranlée jeudi par les violences intercommunautaires qui ont fait 38 morts à New Delhi, dans un contexte de polarisation croissante du géant d’Asie du Sud gouverné par les nationalistes hindous du Premier ministre Narendra Modi.
Des émeutiers armés de pierres, de sabres et parfois de pistolets ont semé le chaos et la terreur depuis dimanche dans des faubourgs populaires du nord-est de la capitale, éloignés d’une dizaine de kilomètres du centre. Des heurts autour d’une loi controversée sur la citoyenneté ont dégénéré en affrontements communautaires entre hindous et musulmans. Quelques incidents isolés se sont produits dans la nuit de mercredi à jeudi dans la mégapole, mais aucune nouvelle flambée majeure n’est survenue. Les autorités ont déployé en nombre mercredi des policiers et paramilitaires en tenues antiémeute. Sunil Kumar, directeur du principal hôpital de la zone, a indiqué à l’AFP avoir recensé 34 morts, tous tués par balles, dans son établissement. Un autre hôpital a, lui, fait état de trois décès. Un troisième établissement hospitalier a fait état d’un mort. Plus de 200 personnes ont aussi été blessées, beaucoup par balles. La police a interpellé 500 personnes et commencé à organiser des réunions dans la mégapole pour «améliorer l’harmonie intercommunautaire». Cette flambée de violences intercommunautaires est la pire à frapper la capitale depuis les massacres de Sikhs en 1984 en représailles à l’assassinat d’Indira Gandhi. Selon une liste de personnes décédées dans le principal hôpital, que l’AFP a consultée, les victimes semblaient à peu près autant hindoues que musulmanes, à en juger d’après leur nom. Lors de multiples incidents, des groupes armés hindous s’en sont pris à des lieux et à des personnes identifiés comme musulmans, au cri du slogan religieux «Jai Shri Ram» («Loué soit le dieu Ram»). Plusieurs mosquées ont été brûlées dans la zone. Un drapeau hindou, représentant le dieu-singe Hanuman, a été hissé sur le minaret d’une mosquée mise à sac, ont constaté des journalistes de l’AFP. «Je m’inquiète des informations faisant état d’inaction de la police devant les attaques contre les musulmans par d’autres groupes», a déclaré jeudi Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme.
Communauté internationale silencieuse
Sur place jeudi, la tension restait prégnante et la méfiance régnait. Une équipe de l’AFP a fait face à des réactions extrêmement hostiles de la part d’habitants. Dans le quartier d’Ashok Nagar, principalement composé d’hindous, les émeutiers ont incendié les maisons des familles musulmanes. «Personne (des autorités, ndlr) n’est venu nous aider. C’est nos voisins hindous qui nous ont aidés. Ils nous ont assistés pour arroser le feu. Ils ont apporté des seaux d’eau. Ils nous préparent du thé. Ils nous demandent sans cesse si nous avons besoin de quelque chose», a témoigné Bilkis, une mère de sept enfants dont le domicile a été en grande partie endommagé. Les capitales mondiales sont restées globalement silencieuses sur ces violences, à l’exception d’Ankara. Se posant de longue date en défenseur des musulmans dans le monde, le président turc Recep Tayyip Erdogan a dénoncé jeudi les «massacres» commis selon lui par les hindous contre les musulmans. En visite d’État en Inde au moment de l’embrasement, le président américain Donald Trump a esquivé en conférence de presse une question sur le sujet, disant ne pas avoir discuté de ces émeutes avec Narendra Modi. Les violences ont éclaté dimanche soir lorsque des groupes hindous se sont opposés à une manifestation de musulmans contre une loi controversée sur la citoyenneté. Cette législation, jugée discriminatoire pour les musulmans par ses détracteurs, est à l’origine d’un vaste mouvement de contestation qui secoue l’Inde depuis décembre. La loi controversée a cristallisé les craintes de la minorité musulmane – 200 millions sur 1,3 milliard d’Indiens – d’être reléguée au rang de citoyens de seconde classe. Les détracteurs de Narendra Modi l’accusent de vouloir transformer l’Inde laïque en un pays purement hindou. Le chef de gouvernement indien, au pouvoir depuis 2014 et largement réélu l’année dernière, a appelé mercredi ses concitoyens à «la paix et la fraternité». Ses adversaires politiques pointent toutefois du doigt les discours incendiaires tenus par des responsables de son parti, notamment lors de la campagne pour des élections locales à Delhi au début de l’année. Des représentants du Bharatiya Janata Party (BJP), avaient assimilé les manifestants contre la loi sur la citoyenneté à des «jihadistes», certains appelant même à les incarcérer ou à les abattre. Les émeutes de Delhi «étaient en germe depuis longtemps», a estimé l’éminent intellectuel Pratap Bhanu Mehta dans une tribune publiée jeudi par le quotidien Indian Express. «Il ne fait aucun doute que l’État aurait pu stopper la violence plus rapidement s’il l’avait voulu», a-t-il affirmé, s’inquiétant que ces événements soient «un prélude à un possible pogrom, ou au moins une ghettoïsation» des musulmans en Inde.