Dans le fracas ininterrompu de la guerre, les habitants de la bande de Ghaza n’attendent plus la paix : ils attendent la farine. Mais même cela, le minimum vital, leur est arraché dans un enfer de sang, de chaos et de faim. Chaque jour, des centaines de civils affamés se rassemblent aux portes des centres de distribution d’aide. Là où l’on espère recevoir un peu de pain, c’est souvent la mort qui s’abat.
Près de ces points de distribution, rebaptisés à juste titre « pièges mortels », la scène est devenue familière : la poussière, les cris, les sacs éventrés, les corps gisant au sol. Les tirs sont constants, les drones bourdonnent, les bombardements fauchent au hasard. Des familles entières venues chercher de quoi survivre rentrent chez elles amputées, en deuil ou pas du tout. « Je ne peux plus y retourner. Pas après ce que j’ai vu aujourd’hui. Du sang, des corps démembrés, des enfants piétinés. Je préfère mourir de faim que de voir ma famille me pleurer », confie Youssef Zaârab, père de neuf enfants. Comme beaucoup, il a tenté sa chance dans plusieurs centres de distribution – rue al-Tina, zone du Chakouch, ou encore al-‘Alam. Mais l’accès à la nourriture est devenu une épreuve de force. Seuls les plus robustes ou désespérés parviennent à attraper un sac. Les autres n’ont que des miettes… ou des larmes.
Tout le monde a faim
Tayseer Radi, un autre habitant, le résume ainsi : « Le pain est devenu un luxe. Ce que je ne peux pas obtenir gratuitement, je l’achète à prix fort, quand il y en a.
Sinon, je repars bredouille». La réalité est simple et implacable : à Ghaza, les prix flambent quand les denrées atteignent les centres. Mais ces mêmes centres sont aussi les cibles préférées des attaques israéliennes. Khadija Younes, une mère de famille, raconte avec une résignation glaciale : « Je sais que je peux mourir en allant chercher de la nourriture. Mais que puis-je faire ? Mes enfants crient de faim ». Pour elle et tant d’autres femmes, le dilemme n’existe plus. La faim a déjà tranché : elles marchent vers les balles.
Un carnage prémédité
Pour Mahmoud Qudeïh, la situation est claire : « Ce qui se passe dans les centres d’aide n’est pas du désordre. C’est une stratégie de mort. Les forces de l’occupation tirent délibérément sur les foules.
Le carnage est prémédité ». Dans certains cas, les tirs ont duré plusieurs heures. Aucun motif, aucune alerte, seulement une volonté d’anéantir. Le bilan est effrayant : depuis le 27 mai, 1 383 civils ont été tués et plus de 9 200 blessés alors qu’ils attendaient une aide alimentaire. Des chiffres en constante augmentation, qui viennent s’ajouter aux 60 000 morts et 147 000 blessés depuis le début de l’offensive le 7 octobre 2023.
Parmi eux, un quart sont des enfants. Dans les hôpitaux de fortune, les soignants peinent à dégager les corps, souvent encore prisonniers des décombres. Et chaque heure qui passe fait grimper le nombre de morts silencieux, ceux qu’on ne voit pas, ceux qui s’éteignent dans l’oubli d’un tunnel ou d’un couloir de ruine.
Les ONG tirent la sonnette d’alarme
Le Programme alimentaire mondial tire la sonnette d’alarme : un habitant sur trois passe des jours entiers sans manger.
75 % vivent une insécurité alimentaire qualifiée « d’urgence absolue ». Et 25 % sont déjà plongés dans une situation assimilable à la famine. Le temps presse, mais les réponses manquent. Amnesty International parle de génocide, tout comme Human Rights Watch, qui accuse Israël d’utiliser la faim comme arme de guerre. Les livraisons d’aide sont systématiquement entravées, voire détournées sous contrôle militaire. L’ONG israélienne B’Tselem confirme l’intention génocidaire et appelle à une mobilisation internationale urgente. « L’ingénierie de la famine et du chaos » – c’est ainsi que le bureau d’information du gouvernement de Ghaza décrit la politique israélienne actuelle.
Des camions arrivent vides …
Selon les autorités locales, 104 camions ont réussi à entrer dans Ghaza jeudi. Mais l’aide a été pillée de manière organisée, sous les yeux – voire avec la complicité – des forces sionistes. Il faudrait au minimum 600 camions par jour pour répondre aux besoins vitaux de la population. Résultat : des centaines de milliers d’enfants dorment chaque soir le ventre vide. Des nourrissons meurent, faute de lait. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) est formel : chaque heure qui passe voit mourir de plus en plus d’enfants. La nourriture s’entasse aux frontières mais n’entre pas. Le porte-parole régional, Salim Oweis, a décrit Ghaza comme « le lieu le plus dangereux au monde pour un enfant ».
Une aide « trempée dans le sang »
Dans une conférence de presse bouleversante, les représentants des clans familiaux de Ghaza ont rejeté l’aide américano-israélienne, la qualifiant de « mouillée de sang ». Pour eux, cette assistance ne sauve personne. Au contraire, elle légitime les meurtres, divise les familles, humilie les affamés. « Ils ont fait du pain une raison de mourir », a dit un chef de clan. Et chaque jour, des dizaines de Palestiniens tombent pour avoir voulu remplir un sac vide. Des tentes de déplacés bombardées. Des camps de fortune transformés en cibles. Des hôpitaux débordés. Des ambulances mitraillées. Une famine entretenue. Et toujours ce chiffre qui grimpe : 60 332 morts. 147 643 blessés. Et un million d’enfants en danger immédiat. La guerre n’épargne rien. Elle ne tue pas seulement par bombes et missiles. Elle tue par le silence. Par la faim. Par l’attente. Et pendant ce temps, le monde regarde ailleurs.
M. Seghilani