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FARID FLICI, Dr EN STATISTIQUE ET Me DE RECHERCHE AU CREAD, ANALYSE, POUR LE «COURRIER D’ALGÉRIE», LA DEMOGRAPHIE EN ALGÉRIE : «Les études de la population sont primordiales dans l’élaboration des politiques publiques»

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L’explosion démographique, connue en Algérie ces dernières années, fait craindre aux autorités la croissance des besoins de la population en droits basiques.

C’est-à-dire le triptyque éducation-logement-emploi. Dans cet entretien, Farid Flici, docteur en statistique, maître de recherche au Cread, revient sur les colonnes du Courrier d’Algérie, pour décortiquer la politique de population de l’État. Très au fait d’un dossier sur lequel il a longtemps travaillé, le statisticien pointe du doigt les limites de cette même politique. Par contre il suggère aux pouvoirs publics d’aller vers des études plus approfondies de la population et d’évaluer, en permanence, la demande sociale.

-Le Courrier d’Algérie : La tendance de la démographie en Algérie inquiète les autorités tant la demande sociale en éducation/formation, en logement et en emploi va avec. Pour commencer, quelles seraient les données récentes qui mériteraient d’être citées ? On pense à la mortalité, la natalité…

-Farid Flici : Je m’en tiens, de prime abord, aux derniers chiffres publiés par l’ONS (Office national des statistiques): On parle de 42,2 millions de résidents au 1er janvier 2018 et de 1 060 000 naissances au cours de l’année 2017. Concernant l’espérance de vie à la naissance, qui correspond également à l’âge moyen au décès, elle est passée de 72,5 ans en 2000 à 77,6 ans en 2017. Quant à l’Indice conjoncturel de Fécondité (ICF) qui représente le nombre d’enfants que pourrait avoir une femme durant son âge de fécondité, il est passé de 2,4 en 2000 à 3,1 en 2017. Pour en revenir à la démographie, on était à 30 millions en 2000. En l’espace de 17 ans, la population algérienne a augmenté de près de 40%. La tendance est soutenue par les naissances qui ont dépassé le 1 million par an à partir de 2014. Donc l’inquiétude des pouvoirs publics vient du fait que la croissance de la population fait accroître leurs besoins. Ce qui est vrai.

Face à ce constat, le gouvernement est tenu de prendre des mesures dans le sens de prendre en charge les besoins basiques de cette population en hausse. Pour être plus clair, dans quelques années, on aura par exemple 5 millions d’enfants inscrits au niveau de nos écoles primaires. C’est-à-dire qu’il leur faudra des classes, des cantines, du transport mais aussi un corps d’enseignants. Pareil pour la population arrivant sur le marché de l’emploi, les retraités et d’autres couches de la population, les personnes vulnérables en particulier.

-L.C.A. : Et qu’en est-il de la politique de l’Etat inhérente à la démographie?
-F.F. : Dans toutes les conditions, la politique de réduction de la fécondité ne serait pas la meilleure solution du fait qu’une telle politique conduira à un vieillissement accéléré de la population et mettra en péril le ratio de la population à l’âge de travailler sur la population à l’âge de retraite. Suivant un travail que nous avons effectué, si l’Indice conjoncturel de fécondité reste dans l’intervalle de 2,5 à 3 enfants par femme d’ici 2050, le ratio en question passera de 6,6 actuellement à 2,7 en 2050. Plus la fécondité se réduit, plus la situation devienne plus compliquée notamment en matière de retraite. Donc l’élaboration des politiques de population devrait s’établir en concordance avec la politique économique du pays. Or, notre gouvernement se trouve face à un dilemme qu’il avait mal prévu: Maintenir le rythme actuel des naissances et supporter les coûts engendrés par la croissance de la population, ou freiner les naissances et payer, plus tard mais plus cher, les coûts des déséquilibres de l’équation travail – retraite. Cette situation aurait pu être évitée si on avait une vision perspective dans le passé. Maintenant, la question qui se pose est celle de savoir «comment limiter les dégâts ?».

-L.C.A. : Insinuez-vous que les résultats de vos recherches auraient fort contribué à la prise de décision ?
-F.F. : Il faudrait d’abord mettre quelques points sur la relation entre les études de la population et la prise de décisions publiques. Un gouvernement (en général) doit, en premier lieu, définir ses objectifs et les classer par ordre de priorité : politique, économique, sociale… etc. Ensuite, il faudrait analyser les méthodes et les moyens permettant d’atteindre ces objectifs tout en assurant la concordance entre les différentes politiques et secteurs. Il faut savoir que les études de la population (quantitatives et qualitatives) sont un élément primordial dans la conception des politiques publiques. En d’autres termes, il est nécessaire d’évaluer les besoins de la population en matière de santé, d’éducation, de nourriture, d’emploi… etc., ainsi que leur évolution dans le temps. Cela revient d’abord à faire des projections de la population totale ainsi que sa composition: répartition par âge et par sexe, population scolarisable, population en âge de travailler, population à l’âge de retraite… etc. Donc le gouvernement doit disposer de tous ces éléments avant de procéder à la conception de toute politique publique afin d’assurer de l’efficacité et de l’efficience dans l’allocation des ressources à sa disposition à l’effet de réaliser ses objectifs par ordre de priorité.

-L.C.A. : Soyons plus pragmatiques. Est-ce que les autorités tiennent compte des données statistiques établies dans l’élaboration de leurs politiques?
-F.F. : L’ONS assure la publication annuelle des données statistiques de la population principalement issues des données de l’état civil (naissances, décès, mariages, divorces). Aussi, les publications de l’ONS comportent, depuis 2017, une projection de la population globale (par âge et sexe) à l’horizon 2040. Ces données sont utilisées par les différents départements ministériels pour l’élaboration de leurs programmes d’action: ministère de l’éducation, ministère de la Santé, ministère des Ressources en eau, ministère de l’Habitat et bien d’autres. Ce que nous constatons, c’est que, dans leur format actuel, les données publiées par l’ONS ne sont pas très bien adaptées aux besoins des différents ministères, notamment en matière de ventilation territoriale. Les ministères ont souvent besoin de données et de projections au niveau local. Le passage de projections nationales aux projections locales n’est pas une tâche aussi facile. Pour cause, elle requiert la disposition de beaucoup de données spécifiques aux différentes régions et localités : les niveaux et les tendances de la mortalité et de la fécondité ne sont pas similaires dans tout le territoire national. À cela s’ajoute le phénomène de migration interne que le système statistique actuel n’arrive pas à capturer dans son intégralité et avec la précision nécessaire. En 2016, le Comité national de population, qui relève du ministère de la Santé, a essayé de faire un pas dans ce sens, et de réaliser des projections régionales de la population, mais faute de données, le projet a été abandonné. Autre chose, les projections démographiques en Algérie, que ce soit au niveau institutionnel ou académique, se font encore suivant la méthodologie et les hypothèses des Nations unies. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas bien adaptées à la réalité du pays. Si cette pratique s’expliquait, dans les premiers temps, par un manque de données, elle ne devrait plus être d’actualité du fait que les données sur la mortalité sont disponibles depuis 1977 et celles de la fécondité le sont depuis 1964 grâce aux publications de l’ONS. Il est plus que jamais temps de passer à des méthodes plus sophistiquées et plus adaptées à l’Algérie.

-L.C.A. : Qu’est-ce que vous voulez dire par méthodes sophistiquées ?
-F.F. : C’est-à-dire, et en ce sens, les centres de recherches et les laboratoires de recherches au niveau des universités sont au service des institutions gouvernementales pour des études plus approfondies. Les chercheurs sont censés proposer des solutions techniques pour améliorer les choses même lorsqu’il n’y a pas une demande explicite de la part du gouvernement. Toujours dans le même registre, une nouvelle équipe a été créée au sein du CREAD (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement). Elle s’intéresse aux questions de la «Démographie Actuarielle». Il faut savoir que la démographie-actuarielle englobe l’ensemble des méthodes actuarielles impliquées par les risques démographiques. Autrement dit, l’évaluation des implications des phénomènes démographiques (longévité, vieillissement, santé de la population… etc.) sur les risques en assurance de personnes et de sécurité sociale (assurance santé, retraite, assurance sociale,… etc.) Un projet intitulé «projection de la population algérienne en utilisant les modèles probabilistes incorporant l’avis d’expert» a été monté par les membres de cette équipe et a été soumis pour évaluation. Les résultats des premiers travaux sont disponibles et téléchargeables sur le site du CREAD. Ils concernent la projection de la population algérienne à l’horizon 2070, et aussi l’effet du vieillissement de la population nationale sur la viabilité financière du système de retraite. Grosso modo, et concernant votre question, les efforts consentis par les différentes institutions sont considérables sauf qu’il y a un manque flagrant d’efficacité, de cohérence et de coordination. À vrai dire, la demande du gouvernement en termes d’études statistiques de la population devrait être beaucoup plus exigeante et basée sur des objectifs bien définis à court, à moyen et à long termes. Cela permettra en premier lieu de mieux adapter l’appareil statistique à mieux capturer la dynamique de la population et de permettre aux centres de recherches de gagner du temps et d’améliorer leur efficacité dans la compréhension des phénomènes démographiques et l’investigation de leurs impacts socio-économiques.

F. G.

Bio express
*Farid Flici : Docteur en statistique, maitre de recherche (CREAD), chef d’équipe «Actuarial Demography», Expert en Modélisation Démographique auprès du Comité national de Population – ministère de la Santé, membre du «Mortality Working Group» de «l’Association actuarielle internationale»

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