Avoir une carte d’assurance maladie américaine ne garantit pas d’être soigné sans se ruiner. Il faut faire attention à choisir un médecin ou un hôpital appartenant à un réseau pré-approuvé. Estimer combien restera à charge sur des factures potentielles de dizaines de milliers de dollars à l’hôpital.
Et, pour les Américains couverts via leur employeur, se méfier à chaque changement d’emploi, quand l’assurance précédente sera résiliée. La complexité du système hybride privé-public, la hausse continue des prix et le fait que 27 millions de personnes n’aient pas d’assurance santé ont conduit de nombreux candidats démocrates à la Maison Blanche à proposer une solution radicale: un système à l’européenne. Ce n’est pas comme cela qu’ils l’appellent. Le sénateur Bernie Sanders, pionnier de l’idée, les sénatrices Kamala Harris, Kirsten Gillibrand et leurs rivaux parlent d’un «Medicare pour tous», soit un élargissement à tous de l’assurance publique pour les plus de 65 ans créée dans les années 1960. Les Américains entretiennent une relation ambiguë avec l’Etat fédéral concernant leur santé. Les premières propositions de couverture publique universelle remontent «au moins à avant la Première Guerre mondiale», dit Howard Markel, historien de la médecine à l’université du Michigan, à l’AFP. Après le second conflit mondial, la crainte du communisme a condamné le projet au profit d’un système fondé sur les employeurs. Mais la puissance publique a progressivement dû combler les lacunes. Elle finance aujourd’hui la couverture d’environ 112 millions d’Américains – un tiers de la population -, selon la Kaiser Family Foundation. Outre les plus âgés, les plus pauvres, les handicapés, les enfants, les anciens militaires sont aussi protégés. Quelque 157 millions d’Américains sont assurés via leur entreprise, soit la moitié du pays. Le reste est non-assuré ou couvert individuellement dans le privé. «Beaucoup sont satisfaits de leur assurance, jusqu’à ce qu’ils tombent malades», ironise Tricia Neuman, vice-présidente de la fondation. Sa collègue Karen Pollitz énumère les problèmes: factures surprises après un passage aux urgences, sous prétexte que l’hôpital n’a pas de contrat avec l’assureur; la consultation d’un médecin hors du réseau remboursé; ou la répercussion croissante des coûts sur les salariés.
Lorsque Bernie Sanders a proposé son «Medicare pour tous» aux primaires de 2016, Hillary Clinton a jugé l’idée infaisable dans le contexte politique d’alors. Mais le climat a changé.
«Un rêve»
D’abord parce que la réforme de Barack Obama, en 2010, n’a pas comblé le «trou» de couverture. Ensuite parce que les coûts du secteur continuent d’augmenter plus vite que l’économie américaine. Alors même que les Etats-Unis dépensent déjà 18 % de leur richesse nationale pour la santé, contre 11 % en moyenne dans les pays riches. Enfin parce que les tentatives vaines des républicains pour remplacer «Obamacare» ont montré la difficulté de vouloir à la fois couvrir tout le monde et faire baisser les prix, tout en s’appuyant sur le privé. L’avantage principal d’un payeur unique serait que les tarifs de Medicare s’appliqueraient au lieu des prix variables négociés par les assureurs avec les hôpitaux et autres, en fonction des rapports de force locaux, explique l’économiste Colleen Carey, spécialiste de Medicare et professeure à l’université Cornell. «Medicare est en position de force pour négocier avec médecins et hôpitaux. Son pouvoir pourrait vraiment faire baisser les coûts», dit-elle à l’AFP. Les Américains, démocrates et républicains, aiment Medicare. De plus en plus se disent favorables à son ouverture dès 50 ans (77 %, selon un sondage Kaiser Family Foundation), voire à tous (56 %). Mais le soutien s’effondre dès que l’on souligne que les impôts augmenteraient pour financer la couverture universelle, même si les cotisations patronales et salariales baisseront d’autant. «D’un coup, 158 millions de personnes vont voir une augmentation sous forme d’un impôt qu’ils ne voyaient pas vraiment auparavant. Culturellement, cela change beaucoup de choses», dit Sara Collins, du groupe de réflexion The Commonwealth Fund. Sans compter la résistance marquée des lobbys des assurances, du secteur pharmaceutique et des hôpitaux, très influents au Congrès. Même avec l’élection d’un président démocrate en 2020, le Big Bang médical est donc loin d’être assuré. «Pour l’instant, c’est un rêve», résume Howard Markel. «Il faut continuer à pousser, mais c’est du long, long terme».