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Entretien avec Amel Chaouati, auteure de «Les Algériennes du château d’Amboise»

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Entretien avec Amel Chaouati sur son livre Les Algériennes du château d’Amboise. La suite de l’émir Abdelkader : Quand les voix féminines réclament leur identité: vérité et Histoire. Née à Alger en 1971, Amel Chaouati vit en France depuis 1992. Après deux années de sciences politiques dans sa ville natale, elle part en France étudier la psychologie. Psychologue en institution et en cabinet privé, elle est passionnée par l’histoire, la littérature de son pays, et par les liens que l’Algérie entretient avec l’ancien colonisateur. Elle passe au prisme de ses recherches son propre vécu de l’exil, ce qui lui permet d’accéder à une mise en perspective avant tout universelle des rapports humains. Sur ce versant, elle a pu faire une rencontre fondamentale avec une très grande dame de la littérature et académicienne française, Assia Djebar, pour laquelle elle a créé et préside Le Cercle des Amis d’Assia Djebar depuis 2005. En tant que coauteure et coordinatrice de l’ouvrage Lire Assia Djebar! paru en 2012 à La Cheminante et bientôt disponible en Algérie aux éditions SEDIA, elle a su mobiliser des auteurs des cinq continents exprimant par là un besoin et un désir vitaux de s’ouvrir au monde pour s’émanciper de la gangue d’une histoire encore trop souvent verrouillée entre l’Algérie et la France. En 2013, elle a publié chez le même éditeur Les Algériennes du château d’Amboise. La suite d’Abdelkader. L’ouvrage traite de l’histoire de l’emprisonnement en France des femmes et des enfants de la suite de l’émir Abdelkader qui avaient partagé sa détention entre 1848 et 1852 après la reddition de ce dernier. Dans cet ouvrage Amel Chaouati ouvre un pan de l’Histoire qui trace une nouvelle géographie aux souvenirs communs des Algériens et des Français autour d’une figure hautement charismatique, celle de l’émir Abdelkader. Pour autant, s’il s’agit de lui, c’est ici par ricochet sur le destin des femmes de sa suite, lesquelles préoccupent essentiellement Amel en tant que femme et psychologue.

– Dans une recherche, ou même une simple écriture, il y a toujours ce moment déclencheur, est-ce que vous vous souvenez de ce moment à propos de ce livre?
– A.C. Il y a un ensemble d’éléments qui ont participé à l’écriture de l’ouvrage Les Algériennes du château d’Amboise. La suite de l’émir Abdelkader. Je pourrais remonter jusqu’à mon enfance. Disons que la lecture de l’ouvrage Abdelkader le magnanime a été déterminante. C’est ainsi que j’ai appris qu’Abdelkader Ben Mahiédine fut prisonnier en France avec des femmes et des enfants durant cinq ans, dont quatre années au château d’Amboise où vingt-cinq femmes, hommes et enfants sont morts et enterrés. Je m’étais aussitôt rendue au château simplement pour me recueillir sans savoir ce qui m’attendait mais lorsque j’ai découvert un cimetière j’ai reçu un choc ; je n’arrivais pas à admettre que des femmes et des enfants furent mis en prison et certains d’entre eux condamnés à être enterrés en France. J’avais aussitôt voulu me documenter sur cette période mais je n’ai rien trouvé sur les femmes et les enfants ni même sur les conditions de détention de l’émir. La plupart des écrits tendent à faire oublier qu’il était prisonnier. Lorsque j’ai appris que les archives se trouvaient à Aix-en- Provence je me suis rendue sur place. Des lettres qui faisaient office de compte-rendu, rédigées essentiellement par le directeur du château, le Capitaine Boissonnet chargé de leur surveillance, apportaient des renseignements sur les événements qui concernaient les femmes en particulier. Ce dernier était arabophone et connaissait les mœurs et coutumes de la région de l’ouest algérien pour y avoir séjourné en tant que directeur des bureaux arabes. Dans l’une de ces lettres j’ai découvert la douleur d’une de ces femmes qui savait qu’elle allait mourir et qui ne voulait pas être enterrée en France. J’avais l’impression d’entendre sa voix. J’avais immédiatement écrit ce trouble pour m’en libérer mais elle ne m’avait quitté que lorsque j’ai décidé d’écrire cette histoire et la publier.

– Dans le tableau qui annonce la libération de l’émir, il y a sa mère qui s’incline pour baiser la main de Louis-Napoléon. Quelle lecture possible de ce geste faites-vous ?
-A.C. Pendant ma recherche, je suis tombée par hasard sur une illustration du tableau Louis-Napoléon prince président annonçant à Abdelkader sa libération au château d’Amboise le 16 octobre 1852. Il s’agit d’un tableau peint dans un atelier par l’un des peintres officiels du second empire, Ange Tissier, dix ans après la libération des Algériens, soit en 1861. Ce tableau représente la venue de Napoléon au château pour annoncer à l’émir et à sa suite leur libération après cinq années d’emprisonnement. Sur le tableau nous voyons représenter le camp français le prince-président face au camp des Algériens à leur tête Abdelkader Ben Mahiédine. Mais l’œil est capté par ce qui est représenté au centre du tableau, c’est-à-dire la mère de l’émir, Zohra Bent Sidi Boudouma, courbée, embrassant la main de Napoléon. Cette image m’avait été insupportable. Je suis allée enquêter sur ce tableau pour connaître la vérité. Dans les différents écrits que j’ai consultés, Zohra Bent Sidi Boudouma avait bien rencontré Napoléon pour le remercier de leur avoir redonné leur liberté mais d’aucun n’a décrit ce geste représenté sur le tableau. Or si on revient à l’histoire de la peinture du second empire et au rôle de la peinture militaire dans l’histoire de France en particulier, on réalise que ce tableau participe fortement à la propagande pour asseoir la puissance de l’empire et de ce fait mieux marquer la soumission de l’émir et, du coup, d’un pays entier. Ce tableau veut renvoyer un sentiment de victoire pour l’un et l’humiliation pour l’autre.

– Est-ce qu’il y a un lien entre les conditions de détentions de la femme arabe, en générales, et celle des femmes du château d’Amboise?
– A.C. Ce travail historiographique nous renseigne sur les conditions de détention des Algériennes et des Algériens en France quelques années après l’invasion coloniale. Il nous donne également une idée sur la réaction des Algériennes à la rencontre de la société française dans les conditions les plus traumatiques et les plus humiliantes. Ces Algériennes avaient connu une double réclusion: la réclusion politique et la réclusion culturelle et religieuse. Puisque la tradition refuse que les femmes s’exposent au regard des hommes et surtout des étrangers, les médecins ne pouvaient les ausculter et les interprètes hommes ne pouvaient les approcher pour traduire leur souffrance. Ce repli a causé un tord certain aux femmes aussi bien sur le plan de la communication que sur le plan de la santé. Il a également eu des répercussions sur les jeunes enfants nés la plupart rachitiques. Par ailleurs par peur de la médecine occidentale, elles refusaient pour elles et pour leurs enfants de prendre les médicaments car elles ne connaissaient que la médecine traditionnelle. Certaines refusaient que leurs enfants rachitiques puissent être allaités par des nourrices françaises en raison de l’importance du lien du lait que nous connaissons. Elles refusaient également de les faire vacciner. C’est pourquoi le plus grand nombre de victimes se comptaient chez les enfants (16). Mais il y avait parmi ces femmes celles qui avaient fait le choix de s’enfermer et de ne pas se soigner non pas pour les raisons évoquées mais parce que c’était leur seul moyen de résister et de combattre l’ennemi. Cette réalité du 19ème siècle n’a guère beaucoup changé au 21ème siècle. Les femmes se dérobent au regard des hommes et se dissimulent, elles reviennent de plus en plus à la médecine traditionnelle surtout quand il s’agit des maladies mentales ou psychiques… Je pense que l’Algérie reste profondément une société conservatrice malgré les bouleversements qu’elle vit. Mais dans la rencontre de ces Algériennes avec la société française une situation semblable avait été vécue par les femmes qui avaient suivi leurs maris en France pour des raisons économiques : la peur, le repli, le rejet du mode de vie de la France, le conservatisme dans l’éducation…

-On remarque dans votre livre qu’il y a recours à la photo. Est-ce-que la photo joue un rôle ici ?
-A.C. Dès le début de ma recherche j’ai commencé à prendre des photographies de différents sites que je visitais, car cette recherche m’a emmené à me déplacer dans trois villes où ces Algériennes et Algériens étaient emprisonnés: Toulon, Pau et Amboise. Très vite la photographie couleur ne me convenait pas. J’ai eu envie de faire de la photo noir et blanc et retourner à l’argentique. Par chance j’ai découvert un club de photo avec mes critères dans la ville où j’habite car je voulais non seulement immortaliser ces différents sites mais développer moi-même ces photos. J’ai beaucoup réfléchi à ce besoin de recourir au noir et blanc argentique. Je suppose que c’est lié à la période de ma recherche qui correspond au tout début de la photographie. Je trouve par ailleurs que le noir et blanc sied davantage à mon sujet où le clair-obscur insiste mieux sur le temps qui passe sur les pierres et les murs que j’ai photographiés. Mon éditrice a choisi l’une de ces photos pour faire la couverture du livre.

– Que vous disent les romans suivants ?
Sangué sabour est un roman de l’Afghan Atiq Rahimi. Il s’agit de l’histoire d’une femme qui transpose sur son mari agonisant la légende selon laquelle les femmes utilisent une pierre pour se confesser. Cette pierre éclate lorsqu’elles ont libéré tout ce qu’elles avaient à dire. L’épouse se confesse donc au mari dans le coma jusqu’à le faire exploser. La fin du roman m’avait été insoutenable ; j’ai eu l’impression que quoiqu’elle fasse pour se libérer, la femme est condamnée. Ma fureur au matin était encore plus importante car j’avais rêvé que j’avais décapité un homme. Or je ne suis pas convaincue par cette conclusion car la soumission des femmes ne vient pas uniquement du refus des hommes, mais elle vient aussi des femmes qui ont intériorisé depuis longtemps cette place qu’on leur laisse. Elles peuvent être complices de l’enfermement et même de la violence à l’encontre des femmes. Prenons un exemple le plus proche de nous et source de grands problèmes dans notre société : le rapport entre la belle-mère et sa bru ou l’éducation des filles transmise par la mère. L’écrivain a transformé ce roman en film que je n’avais pas vu. Par la suite j’avais rencontré l’écrivain lors d’un salon du livre et je lui avais fait part de ma colère de lectrice qui l’a fait rire. Je lui ai alors demandé si son film se terminait comme son roman, il m’a répondu non. Je suppose que la fin du film devait contenir une possibilité d’espoir car l’espoir subsiste tant que l’Homme existe sur terre. Actuellement il y a une pièce de théâtre inspirée de ce roman, Pierre de patience, qui se joue en Algérie.
Le jardin d’Orient : Il s’agit du roman de Martine Le Coz. L’écrivaine a imaginé les échanges entre Abdelkader Ben Mahiédine et l’abbé Rabion qui s’étaient rencontrés durant la détention de l’émir à Amboise. La romancière a repris pour son roman le titre que le plasticien Rachid Koraïchi a donné à son installation qu’il a crééé dans le jardin du château à la mémoire des Algériennes et des Algériens morts et enterrés là-bas. Cette belle et émouvante installation constituée de 25 pierres et portant chacune le nom du défunt m’a définitivement engagée dans la recherche pour connaître chacun et chacune de ces hommes et femmes morts sur le lieu-même de leur emprisonnement. Ces voix qui m’assiègent est un recueil de divers articles et conférences de la plus grande écrivaine algérienne, Assia Djebar, qui vient de nous quitter malheureusement. Un livre publié en 1999 que je relis régulièrement car c’est une mine d’information sur l’essence de son travail d’écriture littéraire et cinématographique. C’est l’unique ouvrage que j’ai réussi à lire depuis sa disparition. Des passages entiers sont soulignés par moi au crayon. J’affectionne un en particulier dans lequel elle écrit « …si Schéhérazade ne contait pas à chaque aube, mais écrivait, peut-être n’aurait-elle eu besoin que d’une nuit, et pas de mille, pour se libérer ?».
A. H.

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