Trois disparitions sur une seule page de culturelle, c’est top. Le plasticien Oussama Gasmi est parti à la fleur de l’âge, le jeudi 23 juillet, à Bordj Bou Arreridj. Il n’a pas atteint la trentaine et il m’a bouleversé quand j’ai vu son travail en 2015. C’étaient de grands tableaux presque monochromes, avec des ocres, des noirs, des bruns, esquissant ou plutôt lacérant des personnages. Le jeune Oussama Gasmi est né en 1991 à El Bordj Bou Arreridj, à l’est d’Alger. Après avoir terminé ses études à l’école des beaux-arts à Constantine en 2013, chez le professeur qui l’a aimé fort, l’artiste Amine Khouja, il a commencé à travailler à la maison de la culture de sa ville natale. Appartenant à la jeune tendance de l’expressionnisme algérien, Oussama Gasmi est un artiste très discret, tout comme les deux autres expressionnistes de Bordj Bou Arreridj, Zakaria Moustari et Samir Bensalem.
Initialement inspiré d’Issiakhem et marqué par Abdelouahab Mokrani, l’expressionnisme algérien s’est même imposé dans certaines galeries internationales avec Yasser Ameur, dit l’Homme jaune, Adlane Samet, Lebouahla, Samir Khalfallah… Gasmi appartient donc à une génération marquée par le terrorisme, qui a coïncidé avec leur enfance ou leur adolescence ; et c’est pour cela que leur vision exprime les côtés sombres de la nature humaine, la douleur, la mort. Reflet d’une expérience de la vie où le rose n’était pas toujours au rendez-vous, à cause aussi des désillusion dues à l’embellie puis à la chute du prix du pétrole, ces artistes disent la difficulté de vivre dans un pays qui a pourtant toutes les richesses pour rendre son peuple heureux. L’anxiété, la détresse frappent des pans entiers de la société algérienne mais aussi arabe, puisque Oussama Gasmi et les autres expressionnistes algériens se sentent solidaires de tous ceux qui souffrent de par le monde, quelle que soit la couleur de leur peau, quelle que soit leur langue ou leur religion. C’est donc d’un art international qu’il se revendique, et dont les pères sont Munch et Rouault. Cependant, si l’expressionnisme allemand, dans le cinéma, la peinture ou la littérature, a un fondement essentiellement philosophique, métaphysique et psychanalytique, l’expressionnisme algérien est fondamentalement lié à des raisons d’ordre sociale et économique, et exprime des manques et des injustices palpables, liées aux guerres, à l’exploitation, à la mauvaise gouvernance…
Sur le plan intellectuel et philosophique, Oussama renforce ses relations en tant qu’artiste avec ce qui se passe autour de lui sur le plan social et humain, ce qui lui donne cette conscience aigue des choses et des changements nécessaires : pour lui politique et esthétique sont liés. Gasmi peint la nature humaine mais la tragédie n’exclue pas l’optimisme, du moins l’espoir, chez lui. Attaché à la vie, luttant pour la dignité de l’homme dans sa société, cet artiste exprime l’énergie de la jeunesse algérienne dans son impatience de créer un pays nouveau, un pays digne de ses fils et des martyrs qui se sont sacrifiés pour son indépendance. Même dans ses silences, Gasmi dégageait une immense énergie et c’est elle qui donne leur puissance à ses tableaux.
A. E. T.