Une mobilisation citoyenne internationale sans précédent est en train de prendre forme. Des milliers de personnes – militants, médecins, journalistes, parlementaires, artistes, défenseurs des droits humains et simples citoyens – convergent actuellement vers l’Égypte en provenance des cinq continents. Leur objectif commun : participer à une vaste caravane humanitaire baptisée « March to Ghaza », qui prévoit un rassemblement d’envergure au Caire demain, avant de parcourir les 350 kilomètres menant au poste frontière de Rafah, dans l’espoir de faire parvenir une aide d’urgence à la population palestinienne assiégée de Ghaza.
Ce mouvement citoyen mondial entend briser le silence et faire pression sur la communauté internationale pour mettre fin au blocus imposé par Israël, responsable d’une crise humanitaire majeure dans l’enclave palestinienne. Plus de deux millions de personnes y vivent actuellement sans accès régulier à la nourriture, à l’eau potable ou aux médicaments, dans un contexte de destructions massives provoquées par les bombardements israéliens. « Nous ne portons pas d’armes, seulement de la nourriture et de l’espoir », a déclaré l’un des coordinateurs de l’initiative. « Nous venons dire au monde que Ghaza n’est pas seule». Composée de citoyens de différentes nationalités – européens, arabes, africains, asiatiques et américains – la caravane compte dans ses rangs des personnalités politiques, des ONG, des professionnels de santé, ainsi que de nombreux anonymes déterminés à agir face à l’inaction des gouvernements. Tous s’engagent dans un acte de solidarité humaine et universelle, en affirmant leur attachement au droit international humanitaire et au droit des peuples à vivre libres et dignement. Cependant, la réussite de cette initiative reste incertaine. Les autorités égyptiennes n’ont pas encore officiellement autorisé le passage de la caravane vers le poste frontière de Rafah.
Des tensions internes émergent : tandis que plusieurs partis d’opposition et mouvements citoyens en Égypte appellent le gouvernement à faciliter l’acheminement de l’aide, les partis pro-gouvernementaux affirment que de telles actions pourraient constituer un risque pour la sécurité nationale. La société civile égyptienne, de son côté, ne reste pas silencieuse. Des coalitions de gauche et des mouvements démocratiques appellent à soutenir les participants et à organiser des conférences, campagnes médiatiques et actions de terrain pour attirer l’attention sur cette initiative solidaire. Plusieurs partis prévoient également d’accueillir les membres de la caravane à leur arrivée dans la péninsule du Sinaï, à proximité du tunnel « Tahya Misr » menant vers Rafah. Face aux entraves potentielles, les organisateurs insistent sur le caractère purement pacifique et humanitaire de leur action. Ils refusent toute instrumentalisation politique, affirmant leur volonté de collaborer avec les autorités égyptiennes dans le respect des lois et des procédures. Pourtant, selon plusieurs sources, les services de sécurité égyptiens ont intensifié les contrôles et mis en garde contre les initiatives jugées « non coordonnées », tandis que le ministère des Affaires étrangères a réaffirmé la nécessité d’obtenir des autorisations officielles pour tout mouvement vers la zone frontalière. Malgré les incertitudes et les obstacles, les participants de « March to Ghaza » restent déterminés. Ils espèrent que leur mobilisation collective permettra non seulement d’acheminer une aide indispensable aux Palestiniens de Ghaza, mais aussi de faire entendre une voix de solidarité globale, au moment où les institutions internationales peinent à faire respecter le droit humanitaire face aux violations répétées commises contre le peuple palestinien.
L’espoir d’un passage par Rafah freiné par l’Égypte
Toutefois, ce mouvement de solidarité est confronté à un sérieux défi : les autorités égyptiennes n’ont, à ce jour, toujours pas confirmé l’autorisation de passage de la caravane par le poste frontalier de Rafah. En Égypte, les réactions sont divisées. Alors que des partis de l’opposition appellent à laisser passer la caravane, les autorités et les formations politiques pro-gouvernementales expriment des réserves, invoquant des impératifs de sécurité nationale. Le ministère égyptien des Affaires étrangères a exigé que les délégations étrangères souhaitant se rendre dans la zone frontalière obtiennent au préalable des autorisations officielles. Ce durcissement réglementaire est interprété comme une volonté de contrôler strictement l’acheminement des aides, certains cercles proches du pouvoir accusant même les organisateurs de vouloir « instrumentaliser l’aide humanitaire à des fins politiques ou médiatiques ». Le parti d’Ibrahim El-Arjani, entrepreneur bédouin influent et fondateur du Parti du Front National, a publiquement soutenu la ligne du gouvernement, en affirmant que « le respect de la souveraineté de l’État et la sécurité du peuple égyptien priment sur tout » et en dénonçant toute tentative de pression internationale.
Une opposition mobilisée : solidarité sans équivoque
Face à cette fermeture implicite, plusieurs partis et mouvements de l’opposition démocratique se sont réunis dans une coordination baptisée “la mouvance civile démocratique”, appelant au contraire à faciliter l’entrée de la caravane sur le territoire égyptien. Talat Khalil, coordinateur de la mouvance, a révélé que la caravane terrestre, venue de Tunisie via la Libye, est actuellement en route vers l’Égypte. Il a indiqué que plusieurs personnalités publiques et chefs de partis se préparent à accueillir la caravane à son arrivée au tunnel « Tahya Misr », dans le gouvernorat d’Ismaïlia, avant son acheminement vers Rafah. Dans la même dynamique, le Front populaire pour la justice sociale, réunissant plusieurs partis de gauche et formations nassériennes, a publié un communiqué fort : « Cette caravane représente la conscience humaine face à l’horreur. Elle incarne la volonté populaire internationale de briser le blocus inhumain sur Ghaza et de réveiller les peuples arabes de leur silence complice ». Le Front prévoit d’ailleurs une série de conférences à travers l’Égypte, à commencer par un premier grand rassemblement au siège du Parti de la Dignité au Caire, le lundi 16 juin à 18h30. Un appel à une campagne médiatique de grande envergure a également été lancé, avec des efforts coordonnés pour mobiliser les réseaux sociaux, les plateformes médiatiques, et sensibiliser l’opinion publique internationale à la gravité de la situation à Ghaza.
Le dilemme égyptien : entre diplomatie et sécurité
Le porte-parole de l’État égyptien, Diaa Rashwan, a rappelé que l’Égypte avait organisé au total 20 visites de journalistes étrangers dans la région frontalière depuis octobre 2023, dans le cadre de protocoles rigoureux.
Il a affirmé que toute demande de visite doit passer par les canaux diplomatiques officiels, et que la situation sur le terrain est extrêmement complexe. Rashwan a également évoqué la destruction complète du côté palestinien du poste frontière de Rafah, devenu impraticable : « Le passage est désormais constitué de cratères et de ruines. Aucun déplacement à pied n’est possible». Il a insisté sur le fait que l’Égypte est la seule voie humanitaire encore fonctionnelle vers Ghaza, Israël disposant de cinq autres points d’accès qu’il maintient fermés à l’aide humanitaire. Le discours gouvernemental se veut donc rationnel et légaliste, soulignant une posture diplomatique équilibrée, mais en pratique, la réticence à autoriser la caravane suscite de vives critiques, notamment de la part des forces progressistes arabes.
Une solidarité européenne qui converge
En parallèle, une seconde caravane, venue d’Europe, a commencé à arriver au Caire. Composée de délégations européennes et arabes, dont des députés, des responsables de partis politiques et des associations de la société civile, cette initiative vise à renforcer la pression sur les décideurs égyptiens et à incarner une solidarité internationale élargie. L’enjeu dépasse désormais l’aide humanitaire : il s’agit d’un test pour la conscience du monde et pour la capacité de l’Égypte à se positionner clairement en faveur des droits du peuple palestinien, sans céder aux pressions sécuritaires internes ou aux équilibres géopolitiques régionaux. La « Marche vers Ghaza » constitue l’un des gestes de solidarité les plus puissants de ces dernières années, dans un contexte d’impasse diplomatique et de souffrances extrêmes dans l’enclave palestinienne. L’attitude que prendra Le Caire dans les heures à venir sera scrutée à l’échelle mondiale. Entre obstruction sécuritaire et exigence morale, l’Égypte joue une carte essentielle dans la bataille pour l’accès humanitaire à Ghaza. La caravane, elle, reste déterminée à porter le cri des sans-voix, et à rappeler que l’humanité ne peut rester passive face à un blocus qui tue.
M. Seghilani