Personnage controversé et haut en couleurs, tantôt décrié, tantôt acclamé, Bencherif ne laissait personne indifférent. On aimait ou on détestait. C’est l’image qui me reste de lui, surtout après mon dernier entretien avec lui, il n’y a pas si longtemps ; je pense que c’était le dernier qu’il n’ait jamais accordé à un journaliste. Il y a deux années de cela, je me suis déplacé à Djelfa, et grâce à mon collègue Ahmed Kadri, doyen des correspondants de la wilaya de Djelfa, j’ai pu immédiatement rencontrer le colonel Ahmed Bencherif. À Djelfa, l’ancien homme fort de Boumédiène est toujours appelé «le colonel». C’est dans une de ses maisons dans la ville de Djelfa, et non pas dans le «ranch» de Aïn Maâbad, où je l’ai rencontré auparavant, il y a plusieurs années de cela, en compagnie de ses fils Redouane, Lotfi (qui est décédé longtemps avant son père) et Abdelouahab, qui était à la tête de la Fédération de tir à l’arc.
Déjà, «ammi Ahmed» présentait des signes de décrépitude avancée : il entendait mal, et il fallait répéter les questions plusieurs fois ; il commençait à oublier certains détails de l’histoire, ancienne et récente, mais hormis cela, il avait toujours une bonne diction, le ton autoritaire et vigoureux et le sens de répartie. Il parlait de Bouteflika en disant à chaque fois «mon ami», «mon ami», tenant à lever toutes les équivoques à ce sujet. Bencherif, longtemps «fâché» avec Bouteflika, s’est réconcilié avec le président au milieu des années 2000 lors du fameux meeting de Djelfa lors duquel Bouteflika l’a encensé en public. J’étais à Djelfa pour discuter de plusieurs sujets de l’Histoire récente de l’Algérie et il avait répondu avec un ton direct, franc, sans fard, histoire de «vider» son cœur avec un journaliste qui n’était pas venu pour le scoop, mais pour consigner des faits historiques dans un travail de recherche.
Donc, ce fut pour moi l’occasion de parler de l’affaire du colonel Chaabani, dont on accuse Bencherif, la création de la Gendarmerie nationale, dont il fut le premier commandant, de l’affaire Mohamed Boulafred, une histoire extravagante qui a secoué les services de sécurité pendant dix longues années (1965-1975), celle des restes du colonel Amirouche et son compagnon Si El-Haouès entreposés au sous-sol de Bab J’did, l’affaire Mohamed Bouyali, ses relations privilégiées avec Boumédiène, son ministère sous Chadli, sa mise à la retraite, etc…
À toutes ses questions et à d’autres, Bencherif avait répondu sans détours, parfois en grinçant des dents, souvent en haussant le ton et en levant le doigt vers le ciel, pour prendre Dieu à témoin. Ce ne fut pas un voyage pour rien, bien au contraire, car pour l’Histoire, il faut toujours écouter, recouper, vérifier, et ne pas s’en tenir aux poncifs. Les chemins de traverse sont sinueuses, périlleuses, mais permettent des raccourcis intéressants, comme elles conduisent à ses vérités inattendues. Sortir des sentiers battus des médias mainstream est un choix plein de découvertes, et c’est ce qui s’est passé lors de cet entretien avec le colonel.
L’occasion s’est aussi présentée pour parler de son livre «Parole de Baroudeur», qui m’a été remis par Redouane. Sur l’affiche du livre, la photo d’époque prise par les paras français lors de la capture de Bencherif. La photo a fait le tour du monde et présentait un homme, le port altier et l’allure fière, malgré le fait d’avoir les mains liés. La photo a fait l’objet de commentaires soutenus en France à l’époque. La photo fait partie de cette mémoire algérienne de la guerre et représentait un chef des maquis FLN, capturé par l’armée française. C’était en octobre 1960. Par la suite, Bencherif sera jugé, condamné à mort et emprisonné jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.
Longtemps considéré comme un des hommes forts de Boumédiène, Ahmed Bencherif ne laissait pas indifférent, car il faisait partie de l’Histoire de l’Algérie. Cité dans des dossiers aussi controversés que celui du colonel Chaâbani, celui des restes du colonel Amirouche et son compagnon Si El-Haouès, longtemps entreposés dans les locaux de la gendarmerie à Bab J’did, Bencherif savait contre-attaquer en temps opportun. À quatre-vingt-dix ans, il restait toujours prompt à la riposte.
O. F.