Après avoir allégé ses mesures contre le nouveau coronavirus, l’Égypte espère un rapide retour à la normale pour pallier aux conséquences de la pandémie sur son économie, à peine remise des années d’instabilité politique.
Face à la crise sanitaire mondiale, Le Caire a choisi de maintenir l’activité dans plusieurs domaines afin de préserver la croissance de son produit intérieur brut (PIB), qui atteignait 5,6% fin 2019 selon le Fonds monétaire international (FMI). Si le bâtiment, l’agriculture et l’économie informelle continuent de tourner sans trop d’entraves, la majeure partie de l’industrie, du tourisme et de l’aviation civile sont en revanche au point mort. Mahmoud al-Dabaa, un voyagiste de la station balnéaire de Charm el-Cheikh, au bord de la mer Rouge, imaginait que cette saison serait la meilleure depuis 2010… mais c’était sans compter sur le virus. « Je n’arrive pas à croire qu’on a dit aux touristes de rentrer chez eux (…) en raison du coronavirus », confie M. Dabaa à l’AFP. « C’est la première fois que je vois Charm el-Cheikh complètement vide », ajoute-t-il, se disant « choqué » par les plages désertes. Poids lourd de l’économie égyptienne, le secteur du tourisme a déjà pâti de l’instabilité politique et sécuritaire après la révolte populaire de 2011. En 2019, ce secteur-clé avait cependant engendré 11,6 milliards d’euros de recettes, soit les gains les plus élevés de la décennie, selon les chiffres officiels.
Croissance en berne
L’économie égyptienne a gagné en attractivité après les réformes imposées en 2016 dans le cadre d’un plan de soutien de 12 milliards de dollars (10,7 milliards d’euros) du FMI. En janvier, elle figurait ainsi parmi les dix premières économies émergentes du monde, selon une étude de la Standard Chartered Bank à Londres. Mais après l’apparition du virus, Le Caire a décrété un couvre-feu, bouclé ses aéroports, cafés, écoles et universités, mis au chômage technique des millions de fonctionnaires et fermé partiellement ses commerces, ralentissant l’activité. L’Egypte, peuplée de 100 millions d’habitants, a officiellement enregistré 7.201 contaminations dont 452 décès liés à la maladie Covid-19. En mars, l’aviation civile a perdu plus de deux milliards d’euros et les réserves de change sont passées de 41,7 milliards d’euros en février à 36,8 milliards d’euros, selon le gouvernement. Quant à la croissance, la ministre de la Planification Hala al-Saïd estime qu’elle ne dépassera pas 4,2% à la fin de l’année budgétaire 2019-2020, contre une prévision à 5,8% avant la pandémie. De son côté, le FMI, auquel le gouvernement égyptien a demandé un nouveau prêt et une assistance technique pour affronter la récession causée par le virus, évalue qu’elle plafonnera à 2%.
Reprise prochaine
Mais pour Angus Blair, professeur d’économie à l’Université américaine du Caire, « 25% de la main d’oeuvre réside dans l’agriculture qui n’est pas touchée, beaucoup de commerces sont ouverts (…) et les chantiers se poursuivent. » Peu touché également par les mesures, le secteur du bâtiment, notamment, compte pour 8,8% du PIB. Il repose sur les projets de villes nouvelles lancés par le président Abdel Fattah al-Sissi depuis son arrivée au pouvoir en 2014, à l’instar de la nouvelle capitale administrative, à l’est du Caire. Par ailleurs, l’économie informelle, « bien que ralentie », participe également au maintien de l’activité, commente M. Blair. Comptant pour près de la moitié du secteur privé, elle représente quatre millions de travailleurs, selon l’agence nationale des statistiques (CAPMAS). Fin avril, après avoir allégé le couvre-feu pour le mois de jeûne, le Premier ministre Mostafa Madbouly a dit souhaiter un « retour progressif à la normale » à partir de la fête de l’Aïd, à la fin du ramadan, fin mai. Et afin d’encourager une reprise du tourisme intérieur, les autorités ont annoncé dimanche la réouverture d’un quart des hôtels du pays à la mi-mai, un pourcentage qui grimpera à 50% au 1er juin. « Si les contraintes sont allégées en juin par exemple, l’activité économique dans d’autres secteurs pourrait mener la croissance jusqu’au 3e et 4e trimestre », estime M. Blair.
Impact sur les pauvres
Ingénieur dans l’industrie automobile, où l’activité s’est assez peu contractée, Mohamed Chadid, 32 ans, n’a pas cessé de travailler depuis l’émergence du virus, malgré le risque de contamination. « La production a baissé car nous ne recevons plus de matières premières », a-t-il regretté. Pensant aux plus vulnérables, M. Chadid considère qu' »il ne faut pas arrêter complètement (l’économie) pour que ceux qui travaillent encore puissent subvenir aux besoins de leurs familles. » Pour Aliaa al-Mehdi, ancienne doyenne de la faculté de Sciences politiques de l’université du Caire, le ralentissement de l’activité risque d’avoir « un impact momentané sur le taux de pauvreté » en Egypte, où près d’un tiers des habitants vivent déjà avec moins d’un 1,3 euro par jour, selon les chiffres officiels. « L’Etat se doit de soutenir largement le secteur privé pour surmonter la crise », assure-t-elle.