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Chanson bédouine de l’oranie : Genèse et évolution

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Depuis les débuts du 20e siècle et grâce à l’apparition de l’enregistrement en disque 78 tours d’abord, ensuite 45 et 33 tours , enfin en cassette et CD/DVD,  le genre musical bédoui algérien en général , et oranais en particulier a été sauvegardé partiellement ,dans la physionomie qu’on lui connaît actuellement. La radio et la télévision aussi ont constitué des moyens importants pour la production, et l’enregistrement de ce genre

à notre connaissance il n’y a pas eu de transcription en partitions écrites qui accompagnent les divers répertoires de poésie melhoun publiés. Sur ce sujet, il n’y a pas eu de travaux de recherche particulière (mis à part des articles qui le survolent), sur l’aspect musical et musicologique publiés, sans compter des travaux sur la poésie melhoun qui lui est intimement liée, et cela à l’exception d’une petite étude intéressante, mais incomplète sur la guesba algérienne qui englobe tous les trois sous-genres de bédoui algérien. La nôtre remonte par sa matière documentaire à 1993/94, avec une mise à jour actuelle. Les premiers enregistrements de bédoui qui nous sont connus à Oran et en Oranie, au début du siècle passé sont ceux des cheikhs Snoussi, Ould Mnaouer, Benhmida, Hamada… sur des textes de melhoun de Boudissa, Ali Koura, Benguenoun, Mostefa Benbrahim, Hadj Khaled… On peut dater ce genre musical, comme de la poésie melhoun dont il a été le support mélodique depuis le 16e siècle, phase de la décadence de la civilisation arabo – musulmane. Mais ses racines remontent à plus loin, et au moins au 12e siècle qui a connu la grande vague migratoire des tribus Banû Hilal, Banû Souleim et Banû Mâqil qui ont déferlé sur tout le Maghreb en introduisant leur langue antéislamique et mélopées bédouines et genres (hûda, naçb, hazaj, sinâd, khabab…), et sa progression vers le Maghreb central, conditionnée par de grands bouleversements sociopolitiques, bien que la conquête musulmane de l’Afrique du nord et de l’Andalousie, œuvre des berbères eux – mêmes principalement, a été antérieure à l’arabisation culturelle et linguistique. Mais il y a eu adoption des instruments ruraux ancestraux locaux (berbères) comme la guesba et le guellal (qallouz),ainsi que le métissage-brassage linguistique en profondeur et celui des systèmes musicaux. Ce qui est sûr, c’est que les couches sociales auxquelles ce genre se rattache, qui sont les nomades dont une partie s’était sédentarisée pour former la classe paysanne, avec le maintien du caractère tribale de la structure de base au ‘’douar’’, ainsi que le phénomène permanent de la transhumance (‘achaba) entre le tell, les Hauts-Plateaux, et les confins du Sahara avaient donné naissance à une élite de notables chorfas et adjouads à partir de l’époque turque (bachaghas, caïds, cheikhs, imams, talebs, khelifas, cadis, khodjas, oukils, aghas, chaouchs…) dont la poésie melhoun et le bédoui représentaient l’art raffiné ; et la waâda annuelle ( fête de la fin de saison agricole, et en honneur au Saint patron de la région) servait d’occasion à la jouissance intellectuelle et artistique, à côté de la pratique de la fantasia (goum) – art équestre – avec le sport du tir au fusil en chevauchée sous forme de ‘’ngadi’’. Son aire géographique déborde souvent l’Oranie , pour se propager jusqu’à Alger et Boumerdès, vers l’Est, et dans l’est du Maroc (Oujda, Berkane…) vers l’Ouest. L’État embryonnaire mobile de l’Emir Abdelkader (poète et savant) – la Zmala – avait permis l’éclosion éclatante de ce genre qui était érigé au rang de musique officielle à côté de la nouba dite andalouse. Il représente un genre musical lié aux nomades sédentarisés, reflet d’une civilisation bédouine (‘Umran badaoui) qui dans le contexte de l’acculturation coloniale s’était refugié, dans la cité urbaine, en coexistant avec les genres musicaux citadins. Tout cela appartenait à un système de valeurs d’éthique sociale de ce ’“Umran badaoui” ou civilisation rurale et son esprit chevaleresque, dont le sous-genre musical “bédoui wahrâni” représente un vrai vestige immatériel ayant subi quelques altérations. Les zaouïas soufistes ont été le meilleur refuge de ce patrimoine poético-musical ancestral, d’où sont issus presque tous ses bardes et chantres. Les instruments de musique utilisés dans ce genre sont deux à trois guesbas (flûtes en roseau) et un guellal ( appelé aussi qallouz dans la région de Saïda…). Ce dernier n’est utilisé que dans ce sous – genre de bédoui contrairement au eye yey et au bédoui chaoui qui utilisent le bendaïr ou bendir pour la percussion. Il prend la forme cylindrique ou conique et son diamètre est plus réduit que celui de la derbouka, mais sa longueur dépasse celle-ci. Il en existe trois types selon le diamètre du qallouz : ‘Achari (dix) plus grand, sbe’ï (sept) moyen et khmassi (cinq) plus petit. Il est fabriqué soit d’un tronc d’agave (Sebbâr),soit de ciment et de métal ou de bois spécial (Kerrouche).
La peau ou membrane de son cadre est prélevée sur le chevreau (jdye) qu’on fixe avec de l’argile ou du plâtre au – dessus de deux cordes tendues (lawtar) faites de boyaux séchés de chèvre (on y met du corail ’’ mordjens ’’) pour obtenir la meilleure résonance . Et aussi dans le même but , on met du métal au bord de l’autre ouverture qui reste vide, et qu’on couvre bien avec du plâtre.Son jeu s’obtient surtout avec les doigts de la main droite au centre et au rebord de la peau tendue, alors que les doigts de la main gauche restent fixés sur le rebord supérieur tout en se mouvant.Dans la chanson bédoui wahrâni il ne se joue qu’en position assise sur la cuisse gauche tenu par le cheikh lui – même ( maître – chanteur et chef d’orchestre) qui fait fonction aussi de ‘’ glaïli ’’ joueur de guellal, et qui souvent muni d’une bague avec laquelle il frappe , de temps à autre, le haut du pourtour sur lequel est fixée la peau , dans une sorte de remplissage rythmique ; et mouille parfois la membrane avec de la salive pour mieux la tendre. On dit en langage melhounien que le guellal «issadi be tengar», il retentit avec son timbre reconnaissable dans les interludes instrumentaux, et s’entend à peine lors du chant ou s’arrête totalement. Le groupe de musiciens ‘’chioukhs’’ comprend, en plus de ce dernier, deux à trois joueurs de guesba (guessabs), dont l’un tient la pédale ( fond musical ) appelé ‘’ rdif ’’, et l’autre ‘’ rkiza’’ le principal qui joue la mélodie. Mais l’ensemble des flûtistes jouent les interludes après le chant à l’unisson. La guesba est une flûte en roseau dit pur (guesba horra) coupé au bord de la rivière, dont la longueur de chaque partie (l’entre deux nœuds) est plus réduite que dans le roseau ordinaire n’excédant pas six doigts réunis. Elle est ensuite ornée (tatouée) par des signes et motifs à l’aide d’une petite lame de couteau, et on y met du henné mouillée qu’on gratte le lendemain pour la colorer.L’embouchure est constituée de l’ouverture supérieure légèrement taillée et est posée sur les lèvres du côté droit généralement de la bouche, lors du jeu, pour y insuffler de l’air.Toutes les sortes d’appogiatures (zouaqet) sont utilisées – trilles , trémolos , gruppettos…- pour l’obtention d’une belle sonorité sur une échelle ultrachromatique. On dit en melhoun ‘’ hwa’’, air mélodique de la ‘’guesba welwela be tesfar’’, qu’elle ulule . Il y’a des bergers qui ont un très beau sifflement ‘’tesfira’’ avec uniquement les lèvres (instrument naturel), dont le timbre s’y rapproche étrangement. Même au studio numérique le timbre artificiel reproduit de la guesba reste approximatif tout en perdant pour les habitués son cachet naturel ; déjà que le haut-parleur en l’amplifiant lui ôte ce dernier.
Il en existe plusieurs types selon la longueur, le diamètre et le nombre de nœuds du roseau. Leur appellation n’est jamais par rapport au nombre de trous (comme on s’y trompe souvent). Il y a la “thlathia” (trois entre-nœuds), la plus courte appelé qechbot, qui est utilisée dans les danses seulement, avec le son aigu, soprano (et donc hors de notre champ d’étude) ; les autres types utilisés dans le bédoui wahrâni sont surtout la ‘’ khmassia ‘’ ( cinq entre-nœuds ) percée de six trous qui à son tour peut être subdivisée en trois sortes selon le diamètre du roseau et par rapport à la tessiture vocale : “Guesba fergha” (vide) à diamètre plus large pour la voix basse et baryton ; “guesba sbûla” (tige) à diamètre moyen qui accompagne la voix contralto et intermédiaire ; et “guesba sbûla sghira” (petite tige) à petit diamètre qui accompagne la voix ténor.

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