Pour le 4e jour consécutif, la capitale belge connaît une paralysie presque totale de ses activités. Le coût de la mesure dépasse 1 milliard d’euros. Pour le quatrième jour consécutif, Bruxelles se trouve plongée dans un coma artificiel. La capitale belge connaît une paralysie presque totale de ses activités qui devrait perdurer au moins jusqu’au mercredi 25 novembre. Du jamais-vu. Depuis ce 21 novembre, les autorités fédérales belges évaluent au niveau 4 la menace qui pèse sur la ville après les attentats de Paris – réduit au niveau 3 pour l’ensemble de la Belgique. Selon l’Ocam (Office de coordination pour l’analyse de la menace) – chargée d’évaluer le risque en centralisant les informations des différents services de sécurité et de renseignement –, il s’agit d’une menace « sérieuse et imminente » sur la capitale. Des attentats du même type que ceux de Paris y seraient préparés. Un véritable couperet sur la tête de tout un pays.
Ni foot ni shopping
Depuis samedi matin, la capitale européenne est sous perfusion. L’impératif de sécurité fait annuler coup sur coup les grands événements, les matchs de football, et va jusqu’à empêcher tout shopping dans les rues du centre. Il stoppe net les métros et les tramways. Le 21 novembre est devenu le samedi le moins vivant d’une capitale européenne. Et Bruxelles, peut-être la ville la plus armée d’Europe. Des militaires suréquipés, des voitures blindées et des camions de déminage ne cessent de patrouiller dans les rues et dans les lieux « à risque » : les gares, les monuments, les ambassades. Un important dispositif de sécurité a aussi été déployé pour perquisitionner et auditionner en 48 heures près de 21 personnes, dont la plupart – 17 sur 21 – ont été relâchées ce lundi soir.
Mais c’est lundi que la menace est devenue visible. Les seuls à s’en réjouir ont été les enfants et les étudiants, appelés à ne pas se présenter en classe ni dans leur université. Considérés comme des cibles privilégiées, ils ne pourront retourner en cours qu’à partir de mercredi et en respectant certaines mesures de protection, comme l’a indiqué le Premier ministre Belge, Charles Michel, lors d’une conférence de presse lundi 23 novembre au soir.
Télétravail
Cet état traumatique a aussi atteint les autres villes et des secteurs moins menacés. Ainsi, des écoliers de la ville flamande d’Anvers ont dû être évacués suite à des alertes à la bombe. Les cliniques universitaires de Saint-Luc à Bruxelles ont décidé de fermer au public les consultations. Au palais de justice, ce sont les audiences des tribunaux de première instance, de travail et de commerce qui ont été reportées. Dans les rues, il y avait moins de monde que d’habitude pour un début de semaine. Il faut dire qu’il faisait froid. La température a chuté au-dessous des 2 °C. On en a même oublié de dégivrer les containers sur les voies de rails en Belgique. Résultat, c’est le Thalys qui en a payé les frais, ses centaines de passagers et parmi eux la ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, qui est arrivée avec deux heures de retard à la réunion de ses homologues européens de l’Éducation à Bruxelles.
Une torpeur qui n’empêche pourtant par les services publics de fonctionner et les gens de partir travailler. La plupart des habitants prennent la voiture, se tassent dans les quelques bus qui circulent aléatoirement dans la ville, certains enfourchent leur vélo, d’autres leurs chaussures de marche pour affronter les pavés de la capitale… Quand d’autres choisissent le “télétravail”. C’est le cas de plusieurs fonctionnaires européens, profitant des « mesures de flexibilité » prises par la Commission face à la fermeture des crèches et des écoles européennes. Les entrepreneurs et les indépendants ne sont pas en reste non plus. L’UCM, l’organe patronal francophone des indépendants et des PME, a annoncé dans un communiqué la possibilité pour les entreprises en cas de « force majeure » de prendre un jour « de chômage temporaire ».
1,2 milliard d’euros de perte
Toutes ces mesures ont un coût. Le porte-parole de l’UCM, Thierry Evens, le chiffre déjà à 1,2 milliard d’euros pour les fournisseurs, le secteur des services et les sous-traitants. Le secteur de l’Horeca (celui de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés) tire la sonnette d’alarme. On estime déjà à 50 % les pertes dans les hôtels du centre de Bruxelles. Pour les commerces, un espoir de rattrapage existe toujours. « On n’est pas encore dans la dernière ligne droite avant les fêtes, une grande partie des achats ne seront que reportés », espère Thierry Evens. « Une fois que l’état d’alerte sera allégé, il faut s’attendre à un certain effet de rattrapage, que l’on ne peut pas encore estimer », affirme une autre source belge. Le ministère de l’Économie se refuse encore à toute évaluation.
La pression monte
Or la pression monte sur le gouvernement, qui a promis un retour « progressif » à la vie normale d’ici à lundi prochain. L’exceptionnel doit durer plus d’une semaine. Une gageure. Déjà, le directeur de la fédération du commerce et des services (Comeos) s’est insurgé ce samedi par voie de communiqué d’une « improvisation de mauvais aloi » des pouvoirs publics qui crée de « l’incertitude » et a appelé à être intégré au processus de décision. Des compensations et indemnisations seront demandées par les différents organismes et leurs employés. Le gouvernement Charles Michel joue gros. L’enquête doit aboutir et la menace terroriste, s’éloigner. Rien n’est gagné. Après de nombreuses perquisitions et des opérations lourdes de police, les services de sécurité n’ont toujours pas pu mettre la main sur le principal suspect, Salah Abdeslam, l’un des présumés terroristes présents lors des attentats de Paris.
Reste que la Belgique ne manque pas de ressources. Peut-être faudra-il les puiser dans l’humour de Philippe Geluck, dans ces « chats », ces multiples « Abou Miaou » qui ont envahi la twittosphère et réussi à ridiculiser la menace Daech, le temps des opérations antiterroristes de dimanche soir. Ou peut-être est-ce plus concrètement dans la rue, une fois le niveau de menace abaissé, une fois le traumatisme passé, une fois sorti du coma, qu’il faudra voir comment Bruxelles et ses habitants se relèvent et sortent de leur torpeur pour trouver des solutions de long terme. Ce sera là une autre tâche, peut-être la plus difficile, que le gouvernement belge aura à réaliser.