La sixième Conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique (Ticad) s’est tenue ce week-end à Nairobi (Kenya). Il s’agit de la première Ticad organisée sur le sol africain. Le Premier ministre japonais Shinzo Abe était présent, ainsi qu’une trentaine de chefs d’État.
L’économie s’est installée au cœur de ce sommet, qui a lieu tous les trois ans. Le Premier ministre japonais a promis 30 milliards de dollars d’investissements entre 2016 et 2018 en Afrique. Plus de 70 protocoles divers et accords commerciaux ont été aussi signés entre le Japon et l’Afrique. Une trentaine de chefs d’Etats et de gouvernement ont fait le déplacement. L’Algérie était représentée par Abdelkader Messahel, ministre des Affaires maghrébines, de l’Union Africaine et de la ligue arabe. Après les États-Unis, qui n’entendent pas laisser le champ libre à la Chine en Afrique, c’est au tour du Japon de s’affirmer et de se présenter en « conquérant » à Nairobi. Le gouvernement japonais a mis les petits plats dans les grands pour séduire le continent africain lors de ces deux jours de conférence. Premier symbole, l’événement s’est tenu pour la première fois dans un pays africain, à la différence des cinq éditions précédentes (depuis 1993). Cette conférence qui a à l’origine pour but de promouvoir le dialogue entre dirigeants politiques et économiques de l’Afrique et du Japon s’était cette fois-ci clairement transformée en une opération séduction de la part des élites nippones. Les grandes firmes industrielles nipponnes (Toyota, Mitsubishi, Honda ou encore Canon) étaient présentes pour la première fois afin de promouvoir leurs produits. Une ouverture au secteur privé qui dénote par rapport aux éditions précédentes davantage axées sur l’investissement public et l’aide humanitaire. Tout au long de la rencontre, le Japon a insisté sur la « qualité » des services qu’il propose, une référence à peine voilée au fait que Tokyo est perçu sur le terrain comme un prestataire de meilleure qualité, même s’il est plus lent et élabore des projets de moindre ampleur que la Chine. À travers une promesse d’investissement très médiatique de 30 milliards de dollars de 2016 à 2018, Tokyo a cherché à déployer un plan de développement sur trois secteurs : En premier lieu l’industrialisation à partir d’une diversification de l’économie africaine. Dix milliards de dollars seront affectés aux «infrastructures de qualité » : les capacités de production d’électricité devront augmenter de 2.000 mégawatts pour satisfaire 3 millions de foyers d’ici 2022. Le développement via l’aménagement des transports urbains est également prévu. En parallèle de ces investissements, le Japon a promis de former 30.000 personnes en ressources humaines et 20.000 enseignants en sciences naturelles et mathématiques. Une formation qui selon les dires des différents dirigeants nippons constituerait le « noyau de l’activité économique ». En second lieu le secteur ciblé est celui de la santé. 20.000 experts, décideurs politiques et administrateurs chargés des mesures contre les maladies infectieuses à l’échelle régionale seront formés. 500 millions de dollars seront également investis pour traiter des problématiques nutritionnelles et de sécurité alimentaire. Enfin et en troisième lieu la stabilité sociale. Les autorités nippones vont affecter 500 millions de dollars pour faire bénéficier 50.000 personnes d’une formation professionnelle. 1,8 milliard de dollars seront eux affectés à la formation de 4.000 personnes dans les domaines de l’énergie pour faire face au changement climatique. Au total ces 30 milliards de dollars incluent de nouveaux engagements à hauteur de 21 milliards tandis que les 9 milliards restants proviennent de la promesse d’investissement prononcée en 2013 lors de la précédente Ticad.
Derrière ces investissements massifs se cache bien évidemment l’enjeu du contrôle d’une région stratégique et d’ores et déjà convoitée par les puissances internationales. Mais c’est aussi l’occasion pour le Japon de trouver des débouchés à ses produits et de relancer en partie son économie. Alors que les Abenomics ont vite montré leurs limites, Shinzo Abe souhaite utiliser l’Afrique pour grappiller quelques points de croissance. C’est dans ce but que le Premier ministre japonais a convié à cette grande conférence de nombreuses entreprises japonaises et annoncé la création d’un Forum économique public-privé nippo-africain qui réunira ministres et patrons d’entreprises. « Nous avons le sentiment profond que le Japon peut croître en Afrique, où les possibilités abondent », a affirmé Shinzo Abe. Il s’agit donc pour le Japon, qui a longtemps boudé le continent africain en tant que partenaire commercial, d’offrir des opportunités de débouchés à ses entreprises, souvent expertes dans des domaines clés en Afrique comme l’énergie, la planification urbaine ou encore la prévention des catastrophes naturelles. Mais ce plan d’investissement ambitieux répond aussi au désir du Japon de ne pas se laisser distancer sur place par son éternel concurrent chinois. En 2014, la part des investissements en Afrique dans le volume mondial du Japon à l’international s’élevait à seulement 1,2%. Près de quatre fois moins que la Chine la même année. En 2015 les échanges commerciaux entre le Japon et l’Afrique s’élevaient à 24 milliards de dollars contre 179 milliards de dollars d’échanges du continent avec le géant chinois. Devant cette nouvelle concurrence, Zhang Ming, vice-ministre des Affaires étrangères en Chine, a d’ailleurs réagi en affirmant implicitement que le Japon risquait d’être un des nombreux pays qui promet «beaucoup mais honore finalement peu ses engagements. » Une manière comme une autre de se démarquer du Japon mais aussi d’autres pays asiatiques comme l’Inde et la Corée du Sud qui lorgnent depuis quelques années ce continent africain à l’avenir prometteur. Comme si la rivalité entre la Chine et le Japon n’était pas encore assez établie, Shinzo Abe a commencé son discours introductif à Nairobi en défendant le droit à l’Afrique de disposer d’un fauteuil de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, faisant même de la réforme de ce Conseil « un objectif commun pour le Japon et l’Afrique ». Difficile de douter que cet appel n’était pas destiné à irriter la Chine, déjà membre du Conseil de sécurité, et opposée à cette évolution.
Pour ce qui est de l’Algérie, le ministre des Affaires maghrébines, de l’Union africaine et de La ligue des Etats arabes, Abdelkader Messahel, a plaidé en faveur d’un «transfert réel de technologies» devant permettre à l’Afrique de développer son potentiel industriel de transformation de ses ressources naturelles. Intervenant devant la presse , Messahel, qui représente le président de la République Abdelaziz Bouteflika à ce sommet, a précisé que le développement du potentiel de transformation des ressources naturelles du continent africain vise à «garantir une forte valeur ajoutée, créer de l’emploi et générer des richesses»,«L’Afrique souhaite qu’il soit tenu compte de son ambition d’être un espace économique dynamique pouvant participer activement à l’essor de l’économie mondiale et de ne plus être perçue comme un continent réduit au rôle de simple réservoir de matières premières et de marché commercial et de consommation», a-t-il affirmé. Messahel a souligné que la participation du Japon dans l’effort de développement de l’Afrique «pourrait intervenir, notamment, à travers le financement et la réalisation de projets d’infrastructures nationaux et régionaux structurants tels que définis comme priorités par les chefs d’Etat et de gouvernement africains dans la stratégie en matière d’infrastructures».
M. Bendib