Adopté, avant-hier, par le Conseil des ministres, le projet de loi sur les hydrocarbures s’attire les foudres des experts, qui s’accordent à dire que le moment n’est pas opportun pour ouvrir ce dossier, en l’absence d’un gouvernement et d’un président de la République «légitimes». Contactés, hier, plusieurs experts en économie étaient unanimes à relever la nécessité de réviser cette loi, considérant toutefois que cette révision doit se faire par un Président élu.
Pr Chafik Ahmine : «Oui mais ce n’est pas le moment»
Ainsi, l’enseignant en économie à l’Université d’Alger, le Pr Chafik Ahmine qui a reconnu que «toutes les lois ont besoin d’ajustement et d’adaptation», signalant, toutefois, que «la question qui mérite d’être posée est de savoir est-ce que cette révision est nécessaire au moment où le pays traverse une situation délicate?» «Je pense que ce n’est pas le moment, parce qu’elle ne sera pas légitime», a déclaré notre interlocuteur, en s’interrogeant sur les «raisons de cette précipitation». Questionné sur d’éventuelles pressions internationales pour pousser le gouvernement de notre pays à réviser cette loi, le Pr Ahmine, a réfuté cette analyse en précisant que «la pression est plutôt interne au regard des chiffres de la production nationale». «Il faut reconnaître que les voyants sont au rouge. La production stagne et la consommation augmente. En 2025, l’Algérie ne sera plus exportatrice de pétrole», a-t-il argumenté, considérant, néanmoins que « malgré cette urgence, le gouvernement de gestion des affaires courantes n’a pas déci à der de l’avenir du pays». «Il fallait attendre un peu pour élire un président légitime et faire engager toutes les parties dans cette mouture, pour aller vers un consensus», a plaidé l’expert. Par ailleurs, celui-ci a signalé que «les décisions politiques prennent toujours le dessus sur les décisions économiques». Pourtant, les questions économiques ont «besoin de réponses économiques». En ce qui concerne le contenu de ce projet de loi, notre interlocuteur a indiqué que celui-ci est «antinational». Se référant aux propos du ministre de l’Énergie, dans lesquels il a précisé que le texte a été élaboré en concertation avec des entreprises américaines, l’expert a noté que ceci confirme que «le texte met la richesse nationale à la disposition des entreprises étrangères». «On a le droit de se poser des questions : est-ce que ce n’est pas une manière de gagner la légitimité extérieure au dépens de la légitimité intérieure ?», s’est-il encore interrogé, avant de signaler que «c’est en quelque sorte, une remise en cause de la nationalisation des hydrocarbures».
Pr Abderrahmane Mebtoul : «C’est une erreur politique»
Pour sa part, le Pr Abderrahmane Mebtoul a également reconnu que ce «n’est pas le moment de réviser cette loi». Bien qu’il se dise favorable à la modification de la loi sur les hydrocarbures, celui-ci a tenu à démentir les propos du ministre, en précisant « cette loi a été élaborée par des Algériens». De surcroît, il a appelé à «laisser ce dossier au futur président de la République ». «L’ouverture de ce chantier peut avoir un impact négatif sur les élections. Des gens malintentionnés vont utiliser celle-ci pour mettre l’huile sur le feu», a-t-il analysé, en relevant que «le gouvernement viole la Constitution et c’est une erreur politique ». En ce qui concerne les pressions internationales, Mebtoul a nié cette analyse en précisant que «des responsables des grandes compagnies s’étonnent de cette précipitation». Toutefois, en ce qui concerne le contenu de la loi, il a noté que «celle-ci n’a rien à voir avec la loi de Chakib Khalil puisqu’on revient au partage de la production que celui-ci a abrogé en 2005 ». Il a tenu, en outre à signaler qu’il n’y a pas de «bradage de l’économie tel qu’annoncé par certains opportunistes». La veille, Le directeur du laboratoire de valorisation des hydrocarbures à l’École polytechnique d’Alger, le professeur Chems Eddine Chitour, a estimé, lui aussi que «ce n’est pas le moment» d’adopter la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Pourquoi? Pour le Pr Chitour cette nouvelle loi donne «l’impression d’être élaborée hâtivement, et on ne peut pas élaborer dans les conditions actuelles, une loi qui engage l’avenir, la faire comme ça au pied levé ». « Jusqu’à présent, la vision des gouvernants était de maximaliser la rente et, ça ne les intéresse pas de travailler dans l’aval, c’est surtout l’amont. Faire en sorte qu’on puisse forer et ramener des devises », a-t-il précisé sur les ondes de la Radio nationale.
Lamia Boufassa