En Algérie, aucune étude n’a été menée pour estimer le chiffre réel réalisé par les activités du soutien scolaire privé. Mais, comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, les grèves cycliques dans l’Éducation nationale de ces dernières années ont favorisé le boom des «cours privés».
L’année scolaire arrive à sa fin. Dans la plupart des classes, on se prépare pour les examens. Cette année, les épreuves du BAC commenceront le 20 juin et celles du BEM, le 28 mai. Pourtant, l’ambiance dans les établissements secondaires et moyens donne un air de début des vacances estivales. Ce qui explique pourquoi les professeurs ont déserté les classes et pris des congés avant l’heure. Or, officiellement, l’arrêt des cours est fixé cette année au 30 juin pour compenser les retards accusés suite aux grèves déclenchées par les différents syndicats du secteur. Cependant, les élèves en fin de cycle préfèrent aller se préparer ailleurs. Parmi ceux qui choisissent leurs domiciles pour y réviser tranquillement, beaucoup optent pour des cours privés. Une activité qui a le vent en poupe à la veille des échéances d’examens tant importants que décisifs. Chaque jour de semaine, et pendant même les week-ends, des écoliers, accompagnés ou seuls, et des lycéens portent leurs cartables pour se diriger vers des locaux, des garages, aménagés en «écoles privées». Les conditions ne sont pas idéales, mais les raisons sont multiples. «Les élèves n’ont pas eu suffisamment de cours cette année. On a déclaré que «al âataba» (seuil d’arrêt des cours) ne sera pas reconduite cette année. Beaucoup d’élèves ont peur des examens», nous confie un parent d’élève, rencontré en compagnie de ses deux enfants. Résidant de Boumerdès, wilaya fortement touchée par les mouvements de grève, il conduit ses enfants devant un local servant de lieu d’apprentissage et de soutien aux écoliers présentant des difficultés en classe. Fait nouveau, les cours privés ont suscité cette année un grand intérêt chez les parents d’élèves, notamment durant la fin de l’année scolaire. La quête de meilleurs résultats scolaires, la préparation intensive aux examens du BAC et du BEM, la pression transmise aux familles ainsi qu’aux enfants, ont largement contribué à l’expansion des cours de soutien privé. « Nous voulions bien que nos enfants apprennent. Mais, avec le lancement des manuels de la deuxième génération, les élèves éprouvent des difficultés pour assimiler les cours», affirme Djamila L., mère de 4 enfants. Cette femme au chômage est titulaire d’un diplôme de comptabilité. Rencontrée sur place, elle témoigne qu’auparavant elle donnait, elle-même, à la maison, des révisions à ses deux enfants aînés. Mais, ce n’est plus possible à présent, maintenant que sa fille est au CEM et avec le lancement de la deuxième génération des réformes dans l’Éducation. Les cours privés sont alors plus une obligation qu’un choix. «On veut tous que nos enfants soient parmi les meilleurs. Leur motivation est l’espoir de prospérité et de la promotion sociale. Le prix est élevé, mais c’est le prix de l’ascension sociale», pense-t-elle. Affiches collées sur les murs, publications sur le net, des annonces sur des journaux…on prend bien le soin de mettre un numéro de téléphone pour le contact, mais rien de rien sur les frais et autres détails. Le marché est très juteux. Nous prenons contact avec l’un de ces annonceurs pour s’en renseigner : «Pas de problème pour les frais d’inscription. Nous allons vous aider. Vous pouvez effectuer le payement en plusieurs tranches si ça vous arrange», nous répond-t-on depuis l’autre bout du fil. Mustapha L. et Mokrane A., deux jeunes qui se sont investis dans cette activité. Le premier est titulaire d’une licence en anglais qui a réussi récemment un concours dans l’enseignement public. « Être vacataire c’est synonyme de chômage technique», ironise-t-il sur son propre sort. « J’ai 12 heures de cours à dispenser durant la semaine. Deux jours de libre en plus du week-end. Donner des cours privés c’est un travail complémentaire et une initiation au vrai métier d’enseignant», explique-t-il. En plus, et jusque-là, Mustapha n’a perçu aucun salaire. Cela ne devrait pas être avant la fin de son stage pédagogique, c’est-à-dire pas avant 6 mois. Mais, «je n’ai pas à me plaindre», dira-t-il optimiste. Son autre emploi parallèle semble pleinement suffisant : l’été dernier, confie-t-il, il s’est marié et a réalisé ainsi un rêve de plusieurs années. Mustapha et Mokrane louent un local qu’ils ont aménagé en une salle de cours moderne. Dans le même bâtiment, d’autres étages abritent un cabinet de médecin généraliste, un chirurgien dentiste, un bureau d’avocat. «Contrairement à ce que d’aucuns pensent, l’enseignant n’est pas bien payé. Les anciens bénéficient d’augmentations de salaires et de rappels, alors que nous, on est constamment broyés par le pouvoir d’achat», renchérit son collègue Mokrane, enseignant de français dans un lycée. Les deux s’impliquent à fond et ne comptent pas prendre de congés pendant les vacances. «Nous proposons tout ce que les autres écoles ne peuvent pas proposer : du sur-mesure avec des horaires de son choix, nous proposons aussi des cours adaptés pour les élèves étudiants en mode correspondance. Nous avons aussi des sessions préparatoires pour les élèves désireux de passer le TCF (Test de connaissance de la langue française, obligatoire pour poursuivre ses études dans les universités françaises)», a-t-on confié.
Une activité hors du contrôle de l’état
S’il y a une raison qui a fait décoller le concept des cours privés en Algérie ça serait bien la multiplication des grèves cycliques observées par les enseignants dans le secteur public. Mais, ceux qui versent dans cette activité ne déclare jamais à l’État ce qu’ils gagnent et le nombre des cours donnés, se déroulant ainsi dans des conditions informelles. Ailleurs, le secteur de soutien scolaire est estimé à 2,210 milliards d’euros en France contre 1 milliard en Allemagne et plus de 400 millions en Espagne et en Italie. Cela voudrait dire aux spécialistes que le créneau de soutien scolaire fait une réelle concurrence à l’école publique. Hélas, pas toujours loyale. Suite à la grève qui a duré près de trois mois et menée par les enseignants affiliés au CNAPESTE, les associations de parents d’élèves se sont élevées pour dénoncer une «prise d’otage » de leurs enfants. Ils ont dénoncé notamment des enseignants «sans scrupule» qui s’occupent uniquement de leur carrière professionnelle et qui donne des cours privés payés au moment de la période de grève. Cette réalité a agacé plusieurs syndicats dans le secteur. Rachid Malaoui, président du SNAPAP (Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique), estime que «les syndicats doivent dénoncer les enseignants qui donnent des cours privés alors qu’ils se déclarent être en grève». « Ni la loi ne le permet, ni non plus l’éthique d’un fonctionnaire dans l’Éducation. Nous, on est contre le fait qu’un enseignant ait un deuxième travail d’ordre privé dans l’Éducation. C’est faux. C’est un faux syndicaliste qui soutient cela et c’est un faux syndicaliste qui accepte cela», avait-il affirmé, avril dernier, lors de son passage au Forum du Courrier d’Algérie. Ce souci de premier ordre a même posé des complications au sein de la sphère syndicale nationale. «Parfois, dans le même syndicat il y a problème. Entre des enseignants en éducation sportive par exemple pour qui faire cours ne pose pas problème et des enseignants en maths et physique notamment qui poussent à faire grève. Donc, au moment où leurs collègues ne sont pas payés car en grève, ces derniers ils se font de l’argent en parallèle sur leurs dos en donnant des cours privés», fustige alors Malaoui. Pour ce syndicaliste de longue date, la plupart des enseignants syndicalistes aujourd’hui « n’ont pas assez de conscience pour défendre le service public et leur seul souci ce sont les augmentations salariales». Dès lors que c’est le cas pour certains, ils ne se gênent pas à verser dans cette activité. « Un syndicaliste ne peut se permettre de travailler dans un autre travail dans lequel il ne paye pas d’impôt, tranche le syndicaliste et d’ajouter que c’est un travail informel et illégal. Un syndicaliste qui accepte cela est un syndicaliste qui veut détourner le syndicat pour son propre intérêt ».
Hamid Mecheri