Inclassable par son parcours et par l’altitude qu’elle prend lorsqu’elle parle des problèmes politiques du point de vue du constitutionnaliste, Fatiha Bennabou demeure incontournable dans les périodes de sous-visibilité politique, pendant lesquelles il est utile de voir clair, surtout lorsqu’on ne possède pas tous les éléments d’appréciation, ni tous les outils nécessaires pour décrypter des situations enchevêtrées.
-Le Courrier d’Algérie : Vous nous parliez récemment de la nécessité de passer de la légitimité historique et sécuritaire à celle démocratique.
Cela consiste en quoi exactement?
-FATIHA BENNABOU :Je précisais dans mon propos que la légitimité a reposé chez nous sur une double légitimité mémorielle. La première est révolutionnaire, au nom de ceux qui ont participé à la guerre d’indépendance et libéré la nation. La seconde est sécuritaire, en reconnaissance à ceux qui ont jugulé la guerre civile. Les deux sont en train de s’épuiser et de s’effriter avec de nouvelles générations montantes qui n’ont connu aucune des deux guerres. Une légitimité démocratique s’avère , donc, nécessaire.
-Le gouvernement veut assainir le climat social en vue d’aller vers des élections majeures, celles de 2019, avec de la sérénité en plus…
-Votre question est beaucoup plus politique que juridique : difficile pour moi de répondre ! Sincèrement, je n’en sais rien, moi qui suis juriste et non politologue. Si vous reformulez votre question avec un point d’appui juridique, je vous répondrais avec précision.
-Disons que le gouvernement donne actuellement des gages de crédibilité et de sérénité pour tranquilliser sur ses intentions…
-Ce que je peux répondre, de mon point de vue de juriste, c’est que le gouvernement est là pour répondre aux soucis des citoyens ; l’État est là pour mettre de l’ordre et faire ressentir du bien-être dans la vie quotidienne des citoyens, et de ce fait, son principal objectif doit être de résoudre les problèmes qui se posent dans la société des hommes; le principe «des chefs non des maîtres» a été un long débat discuté par les philosophes depuis la nuit des temps, et cela veut dire que c’est l’État qui est le garant de la sécurité et du bien-être de ses administrés. Ceci étant dit, l’État doit veiller à l’adhésion du peuple à ses choix…
-De quelle manière se fait cette adhésion ?
-Le peuple doit être convaincu par les choix de son gouvernement et consentant, car il n’est pas possible de gouverner sans cela, comme il n’est pas possible d’avoir une gouvernance sans consentement. L’État tire sa légitimité justement de ce consentement des citoyens, de cette adhésion.
-Cela implique une adhésion politique des citoyens…
-Oui, justement, et là il faut retravailler pour politiser, dans des proportions basiques, les citoyens, et en faire des individus capables de réfléchir et de réagir à des situations d’urgence, et là il y va de la propre survie de l’État même. Imaginez un danger imminent qui pointe du côté des frontières ; à ce moment précis, l’État a besoin du peuple pour défendre la patrie, pour empêcher le mal de s’infiltrer et de se propager. Le peuple doit être conscient du danger et des périls, et pour cela il a besoin d’un minimum de culture politique, c’est évident. Or, si on en fait un peuple dépolitisé, est-ce qu’il pourrait réagir à ces situations d’urgence ? Non. Il faut que dans ces situations de périls, le peuple soit du coté de ses gouvernants.
Je vous donne un exemple clair : Mossoul. Dans cette grande ville irakienne, vivaient 1,3 million d’âmes, des centaines de milliers de soldats loyalistes, de policiers et de membres de différents services de sécurité ; or, en cette période trouble traversée par l’Irak, il avaient suffit que quelques milliers d’éléments de l’État islamique s’y incrustent, plus par le biais de la propagande que par celui de la force, pour que la ville entière tombe entre leurs mains. Comment cela fut-il possible ? Je pense qu’il y eu une apathie et un vide politique dont l’EI a largement profité. C’est un exemple édifiant à méditer…
-Ce qui nous ramène à parler de la société politique et de la société civile…
-Oui, de toute évidence. La société politique ne veut pas dire la dépolitisation de la société civile ; un État moderne ne se construit pas sans une société civile, au sens large et démocratique du terme, mais cette société ne doit être dépolitisée. La société civile, comme la société politique, a ses droits et ses libertés fondamentales. L’État doit surtout veiller à ne pas se laisser creuser le fossé entre lui et la société et travailler au contraire à éviter tout pas vers la rupture entre gouvernants et gouvernés. La force de l’État est tirée plus souvent qu’on ne le pense de la vitalité politique de la société civile et politique.
F. O.