Sanders semble rattraper son retard ? Trump paraît avoir gagné dans un fauteuil ? Faux. Décrypage de la course aux délégués des principaux candidats.
Une fois de plus, le monde entier en est réduit à se plonger dans les arcanes byzantins du système électoral américain. Vous ne comprenez pas grand-chose aux histoires de délégués ? Rassurez-vous, les Américains non plus. C’est d’autant plus compliqué que le système diffère d’un État à l’autre, d’un parti à l’autre, d’un comté à l’autre. À tel point, qu’on ne sait même pas quel est le nombre exact de délégués alloués à chaque candidat jusqu’ici ! Les estimations varient selon les médias. Depuis des semaines, les experts, calculette en main, passent donc leur temps à échafauder des scénarios qui prennent en compte les multiples variables. Petit résumé.
«Super-délégués»
La situation chez les démocrates semble assez claire : Bernie Sanders a peu de chances de remporter l’investiture. Comment est-ce possible, alors qu’il ne cesse ces derniers jours d’accumuler les victoires et qu’il est donné grand favori dans une série de scrutins à venir ? C’est une question d’arithmétique. Pour obtenir la majorité des 2 383 délégués, il faudrait qu’il gagne tous les scrutins avec une marge de 58 % contre 42 % pour Hillary Clinton. Or, il a peu de chances de pouvoir s’imposer avec 16 points d’avance dans des États comme la Californie, New York, le New Jersey, la Pennsylvanie… qui ont un électorat plutôt aisé et mixte ethniquement, chez qui il fait peu recette.
Aujourd’hui, Hillary Clinton a remporté 1 251 délégués contre 1 012 pour Bernie Sanders. L’écart semble loin d’être insurmontable. Pourtant, il l’est. Les démocrates ont en effet inventé une catégorie spéciale, ‘les super-délégués’. Ce sont des personnalités du parti, des élus, des bailleurs de fonds, des syndicalistes, qui, eux, ont le droit de voter pour qui leur chante à la convention nationale où se désigne le candidat à l’élection présidentielle de novembre. Et là, Hillary Clinton qui connaît la plupart d’entre eux et les cajole depuis longtemps, fait un carton. Elle en a collecté 482 contre 27 pour Sanders, ce qui lui donne une énorme avance. Toutefois, ces super-délégués peuvent, si Sanders l’emporte, changer d’avis et reporter leurs voix sur lui.
Trump en avance, mais…
Dans le camp républicain en revanche, la situation s’avère beaucoup plus confuse. Certes, Donald Trump a pris de l’avance avec 741 délégués contre 461 pour Ted Cruz et 145 pour John Kasich, le gouverneur de l’Ohio. Mais peut-il obtenir les 1 237 délégués nécessaires à l’investiture d’ici la fin des primaires en juin ? Impossible à prédire. Le problème, c’est qu’il doit faire face à non pas un, mais deux opposants, ce qui divise le nombre de délégués, même si aucun des deux mathématiquement n’a de chance de l’emporter à moins d’une intervention divine. Cruz doit gagner 86 % des délégués restants et John Kasich, qui n’a été vainqueur que dans un seul État jusqu’ici, doit obtenir pas moins de… 121 % des délégués restants ! Autant dire mission impossible.
De l’avis à peu près unanime, Donald Trump qui a besoin de rafler 55 % des délégués restants devrait, s’il continue à ce rythme, atteindre les 1 237 fatidiques, ou en tout cas s’en approcher de près. Et plus il en est proche, plus il a des chances d’être investi. Parce que pour compliquer encore les choses, certains États n’obligent pas leurs délégués à représenter un candidat et les laissent libres de leur choix. Trump devrait donc sans doute compter sur le soutien d’une partie de cette centaine d’électrons libres.
Mais quid s’il n’obtient pas le nombre de délégués nécessaire ? Là, ça se corse un peu plus. On se dirige alors vers une convention ‘négociée’ (brokered). Après les primaires, les délégués de chaque État (qui eux-mêmes ont été élus au cours de conventions locales) vont se retrouver en juillet à Cleveland pour désigner formellement leur candidat à l’élection de novembre.
Lors du scrutin, ils sont tenus de voter pour le candidat qu’ils représentent. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue, on organise alors un second tour, puis un troisième… tant qu’on n’a pas atteint cette fameuse majorité. À partir du second tour cependant, la plus grande partie des délégués a le droit de changer d’allégeance et de voter pour le candidat de son choix. Donc, un délégué Trump peut décider de voter pour Ted Cruz ou John Kasich, ce qui explique pourquoi, malgré leur retard en termes de délégués, les deux rivaux de Trump restent en lice.
Marchandages
Pour le promoteur immobilier, il est donc vital de s’imposer au premier tour, car beaucoup de délégués qui ont des liens avec l’appareil du parti vont sans doute l’abandonner au second tour. En attendant, en coulisses, les marchandages et les tractations ont commencé. Les trois candidats ont recruté des équipes et se démènent pour courtiser les délégués, notamment les 166 de Marco Rubio qui s’est retiré de la course.
Il y a déjà eu des conventions ‘négociées’. En 1924, les démocrates ont dû voter 103 fois avant finalement de se mettre d’accord sur un candidat. La dernière remonte à 1952, où il a fallu trois tours pour élire le démocrate Adlai Stevenson. Quatre ans auparavant, les républicains avaient dû aussi voter trois fois pour élire Thomas Dewey. Depuis, l’investiture s’est toujours décidée au premier tour, même si parfois il s’en est fallu d’un cheveu. En 1976 par exemple, le président Gerald Ford avait accumulé plus de délégués que son rival Ronald Reagan, mais il est arrivé à la convention sans la majorité. Il l’a quand même emporté au premier tour d’une très courte tête.
Seule certitude, si Donald Trump perd l’investiture, la convention ‘négociée’ risque de tourner au pugilat.