Grand écrivain algérien, de langue française, né en 1913 à Tizi-Hibel, (Grande Kabylie), Feraoun était le seul des six martyrs qui avait déjà acquis une certaine notoriété grâce à ses publications chez de grands éditeurs parisiens, même s’il n’est pas prouvé qu’il fût alors une cible plus particulièrement visée.
La vie de l’écrivain
La complexité de son identité repose sur deux composantes fortement liées, résultat d’un cheminement exceptionnel qui a mené le fils d’une pauvre famille kabyle au métier d’instituteur et à la littérature. Originaire d’une famille paysanne de Tizi-Hibel, l’un de ces villages déshérités voisins du massif du Djurdjura, le jeune Mouloud aurait dû s’appeler Aït-Chaabane, mais les officiers français des « bureaux arabes », chargés d’établir des listes d’état civil après l’insurrection de 1871, les baptisent du nom ‘‘Feraoun’’. Son père l’envoie à l’âge de 7 ans, jusque-là destiné à travailler aux champs, à l’ école indigène . Après l’École normale, il est nommé dans sa région natale, puis se marie avec une de ses cousines avec qui il aura sept enfants. A la fin des années 1930, une fois son installation dans la vie accomplie, il entame la rédaction de son premier roman Le fils du pauvre. Mais l’écriture en est laborieuse car il ne l’achève qu’en 1948. Il reçoit alors un grand hommage avec l’obtention du ‘‘Prix littéraire’’ de la ville d’Alger. C’est la première fois qu’un auteur non européen le reçoit. En 1954, ce roman est réédité au Seuil, où travaille Emmanuel Roblès, et devient un des livres les plus lus de la littérature maghrébine. Suivront La Terre et le Sang (Le Seuil) où il conte sa terre natale, ses traditions et la fierté de ceux qui l’habitent ; en 1954, Jours de Kabylie (Alger, Éditions du Braconnier) ; en 1957, Les chemins qui montent (Le Seuil). Auteur également de recueils de textes, d’essais et de chroniques, il aurait voulu – mais il ne réussit à convaincre à temps ses éditeurs – voir paraître pendant la guerre son journal commencé en 1955. Une initiative qui l’aurait aidé à étouffer les critiques de certains de ses compatriotes qui lui reprochent, injustement, d’être l’ami du colonisateur qui l’emploie. Mais il est vrai qu’être à la fois lettré et pacifiste n’était pas facile à faire admettre entre 1954 et 1962. La difficulté à définir Mouloud Feraoun vient de la superposition des différentes étapes de sa vie : né en Kabylie et attaché à cette terre, il connaît une nomination sociale importante grâce au colon français, qui applaudit ses romans. Il est donc lié à la fois à la Kabylie, à la France et à l’Algérie. De plus, sa biographie n’évoque aucun engagement nationaliste et ses romans sont dénués de tout caractère politique ou nationaliste, ses thèmes de prédilection restant la description de sa Kabylie natale et de la misère de ses villageois.
L’assassinat d’un écrivain hors du commun
Certains meurent les armes à la main. Mouloud Feraoun est mort avec les siennes, celles de l’écriture et de la dignité assumée. Qu’il ait été assassiné quelques heures avant la signature des accords d’Évian en fait presque un symbole de cette guerre qu’il faut savoir regarder en face, non pour retomber dans les fondrières des remords et pour ne jamais oublier la période noire de l’histoire algérienne que fut le colonialisme français. Celui qu’on appelle l’assimilationniste n’est pas toujours tendre à l’égard de cette France dont il a tant célébré les Lumières et rejeté les propositions les plus attrayantes, notamment celle de finir fonctionnaire à Paris. Et le fait qu’il soit assassiné par l’O.A.S. montre que le F.L.N n’avait rien compris à cet écrivain mystérieux. S’il donne l’impression de connaitre les deux camps, leur accordant presque le bénéfice du doute, Feraoun ne peut néanmoins s’empêcher de demeurer circonspect et attentif. La biographie de Mouloud Feraoun est vraiment à saluer et à lire car elle recèle une richesse indéniable qui redonne à l’écrivain son véritable statut d’homme de culture, d’écrivain précurseur et inlassable. Son engagement en faveur de l’Algérie et de son peuple apparaît plus lumineux à travers cette biographie pour les incrédules de tous bords. Destin tragique de Mouloud Feraoun dont l’assassinat et celui de ses collègues ont lieu à quelques jours du cessez-le-feu. Le jour des obsèques des six victimes, le dimanche 18 mars 1962, la radio annonce la fin des combats en Algérie à 16 heures. En fait, ces assassinats s’inscrivent dans une vague de violence terrible de l’OAS qui a commis plus de 600 attentats durant le seul mois de mars 1962, dans le but de torpiller toute tentative de paix sur le territoire algérien.
Cet assassinat reste le moment le plus évoqué en France de la biographie de Mouloud Feraoun. Le destin tragique du «fils du pauvre» dont l’assassinat et celui de ses collègues ont lieu à quelques jours du cessez-le-feu. La veille au soir, Feraoun avait regardé, sur la chaîne unique de la télévision française, l’émission Lectures pour tous. Près de neuf mois après le meurtre, Lectures pour tous ressuscite un instant l’écrivain assassiné, par la voix d’un poète devenu “professeur d’enthousiasme” sur les petits écrans : Max-Pol Fouchet, né lui aussi en 1913, qui avait côtoyé Feraoun et Roblès, à l’école d’Alger, à la fin des années 1930.L’étude de la vie et de l’œuvre de Mouloud Feraoun conduit à des réflexions ancrées dans le présent : sur la question identitaire, il incarne la possibilité d’une identité algérienne plurielle, faisant place au kabyle, au français, à l’islam. Par ailleurs, la leçon qu’il donne est toute de nuance et de subtilité puisqu’il ne se laisse pas enfermer dans les catégories simples, voire simplificatrices, que la guerre a formées.
Au nom de ces idéaux, Mouloud Feraoun est un défenseur de la cause nationaliste, conscient qu’il est que l’Algérie ne serait jamais la France et qu’il ne peut en être autrement. Il le fait avec la passion d’un homme épris de justice et la responsabilité d’un écrivain épris de raison.
Au fur et à mesure que l’on avance dans le temps, on le sent de plus en plus menacé, mais désireux de ne pas lâcher prise malgré les signes annonciateurs de la catastrophe finale, jusqu’au jour fatal. Mouloud Feraoun, en effet, est tout sauf un personnage au discours stérile et aux engagements aveugles.
Écrivain algérien et instituteur à la double culture, Mouloud Feraoun est l’héritier des idéaux émancipateurs de la France des Lumières et de la Révolution française qui inspirent certains de ceux qui s’engagent dans l’aventure coloniale, aussi injustifiée est-elle dans son principe.