Le quartier mythique de Souika est une mémoire vivante de la ville de Constantine ; c’est un patrimoine précieux qui dépérit et s’effondre à vue d’œil et dont les vestiges sont charriés par le Rhumel en contrebas du quartier. Cette cité historique a, depuis deux décennies environ, changé de vocation pour verser dans la commercialisation à grande échelle des viandes congelées en quartiers ou hachées. Ce sont une vingtaine de boucheries qui activent sur ce créneau juteux. Les cartons sont déchargés, la nuit venue, dans une certaine discrétion car la qualité est douteuse et les conditions de conservation ne sont pas respectées scrupuleusement. Les véhicules de livraison ne sont pas toujours agréés. Le matin venu, les morceaux de viande passent à la décongélation dans des ustensiles posés à même le comptoir de service, à la vue des clients et des badauds. Bientôt, la viande se met à dégouliner de sang et change de couleur et d’apparence. Devenue tendre, elle passe au hachoir avant d’être exposée à la vente. Point besoin d’être grand clerc pour deviner que cette méthode n’est pas indiquée et expose le consommateur à des risques d’intoxication alimentaire. S’agissant de viandes, les complications peuvent être tragiques. Les conditions d’hygiène les plus élémentaires ne sont pas respectées, la chaîne de froid est rompue et les infestations des germes avarient rapidement les plateaux de viande hachée exposés à tous les aléas. Consommer ces viandes dans ces conditions s’apparente à de l’inconscience pour le consommateur. Mais, appâté par les prix très concurrentiels qui se pratiquent à Souika, le père de famille n’hésite pas, l’essentiel étant de satisfaire des besoins incompressibles dans les limites des moyens, souvent dérisoires pour ceux qui se rabattent sur les bouchers de Souika. Si on poursuit un peu plus loin, à « Chatt », ce sont toujours les viandes qui occupent tous les espaces. Mais là, c’est le frais qui domine avec une bonne douzaine d’étals et des viandes exposées à l’air libre. Même les bouchers activant dans un cadre réglementaire se sont alignés sur ceux de l’informel, en squattant, à leur tour, une bonne moitié des dédales de la vieille ville. Ainsi se côtoient l’informel et le semi-informel, chacun défendant ses espaces. On n’accablera pas davantage ces bouchers de Souika car la situation est pareille ailleurs. Dans ce quartier de la vieille ville, c’est certainement plus visible mais ce n’est pas pire qu’ailleurs. Dans toutes les cités de la ville, les viandes hachées passent par le même itinéraire, avant d’atterrir dans l’assiette du consommateur. Il s’agit là d’un problème de santé publique qu’il faut appréhender dans toutes ses dimensions et à tous les niveaux. Cela passe certainement par une sensibilisation large du citoyen, et aussi par un meilleur contrôle des circuits.
Mâalem Abdelyakine