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Nigeria : un an après l’enlèvement de leurs filles, la souffrance des familles de Chibok

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Plongée dans la douleur, la communauté de Chibok se sent bafouée par le gouvernement sortant. Cette nuit, cela fera exactement un an. Un an que «leurs mères n’ont pas eu le bonheur de leur dire qu’elles les aimaient, que leurs pères ont souffert mille morts en pensant qu’ils n’avaient pas su les protéger», déclarait avec douleur Aïsha Yesufu, militante du mouvement Bring Back Our Girls, drapée dans son hidjab rouge à Abuja il y a deux semaines. Un an qu’elle se réunit, avec d’autres, sur un terre-plein pelé, en face de la façade vieillotte du gigantesque hôtel Hilton, entre deux routes sans trottoir, un décor banal dans la capitale sans âme. Un an que les jeunes filles de Chibok, au nord-est du Nigeria, ont disparu. Le 14 avril 2014 au soir, alors que les lycéennes entamaient une nuit réparatrice, les insurgés de Boko Haram ont débarqué dans leur école, l’une des dernières encore debout dans l’État du Borno, où elles passaient leurs examens. «J’ai compris ce qui se passait vers minuit, j’ai entendu les coups de feu, raconte Esther Yacubu, rencontrée à Abuja fin mars. Ils criaient Allahu Akhbar.» Elle entrecoupe son récit de silences, promène son regard perdu dans le vide. Sa fille, Dorcas, était la plus jeune des 276 filles kidnappées. Elle avait 16 ans et rêvait de devenir professeur. Dans les semaines suivantes, 57 filles se sont échappées. Pas elle. «Une de ses camarades m’a dit qu’elle était assise derrière le chauffeur, elle n’a pas pu sauter du camion. Elle était si jeune. Elle avait commencé l’école à 2 ans, c’est pour ça, elle est si douée…» souffle-t-elle.

Que reste-t-il du mouvement de solidarité ?
Après les tweets de Michelle Obama et les pancartes au Festival de Cannes, que reste-t-il du mouvement de solidarité de l’an dernier ? «Je suis si fatiguée de dire la même chose tous les jours, personne n’écoute !» crie Aïsha Yesufu, devant un groupe clairsemé. Les filles ont cessé de faire la une des journaux. À vrai dire, elles n’ont même pas occupé le devant de la scène lors de la campagne présidentielle qui a abouti à l’élection de Muhammadu Buhari, le candidat musulman du nord, à la tête du Nigeria. Une faible mobilisation, à l’image de l’importance accordée par ce pays de 180 millions d’habitants à un événement survenu dans un Nord-Est lointain, géographiquement et culturellement, pour une majorité de Nigérians. Le président sortant, Goodluck Jonathan, n’a jamais effectué le voyage à Chibok et avait tardé à s’exprimer sur le sujet. «George W. Bush avait mis cinq minutes à réagir à l’attaque des Tours Jumelles à New York, on a écrit des livres dessus. Goodluck Jonathan, ça lui a pris 19 jours après l’enlèvement, qui s’en est ému ?» constatait, amer, Allen Manasseh, porte-parole de la communauté de Chibok.

Buhari, le nouveau président, le dernier espoir
Les familles placent leurs espoirs dans le président élu, Muhammadu Buhari. Hier, il s’est exprimé depuis sa ville natale, Daura, dans l’État de Katsina, avec une sincérité nouvelle pour les Nigérians. «Nous agirons différemment du gouvernement que nous remplaçons, a promis Buhari. Nous entendons l’angoisse de nos citoyens et nous avons l’intention d’y répondre. Cette nouvelle approche doit aussi commencer par l’honnêteté. Nous ne savons pas si les filles de Chibok peuvent être sauvées. Nous ignorons où elles se trouvent. J’aimerais promettre que nous pouvons les trouver, je ne le peux pas. Mais je dis à chaque parent, proche ou ami de ces enfants que mon gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour les ramener à la maison.» Depuis plus de 6 semaines, où le gouvernement nigérian a décidé de combattre Boko Haram avant l’élection, les Nigérians vivent au gré des annonces de libérations de villages par leur armée, sans qu’aucune nouvelle n’y soit récoltée sur les filles. Pas plus que sur les 2 000 personnes que détiendrait le groupe. Et sans qu’il soit possible de vérifier les informations, dans ces localités souvent inaccessibles. Récemment, une femme qui s’est échappée a dit à la BBC les avoir vues avant qu’elles ne soient emmenées, probablement vers les monts Mandara, à la frontière camerounaise. «Je pense que certaines ont été vendues, conformément aux menaces du leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, dans la première vidéo. Dans les suivantes, elles ne sont plus toutes là. D’autres ont dû être mariées de force. D’autres sont probablement mortes», hasarde Emmanuel Shehu. En un an, dix parents sont décédés, de crise cardiaque ou de dépression. «Un an… C’est trop long. Si elles étaient issues de familles riches, ça n’aurait pas duré 3 semaines», soupire Esther Yakubu. Elle-même ne dort plus et souffre de tension artérielle. «Tout ce que je veux, c’est mon bébé… Il faudrait qu’on en retrouve, ne serait-ce qu’une, ça donnerait de l’espoir pour les autres. Mais certains parents n’y croient plus», reconnaît-elle. À côté, Dunoma Mpur, le responsable de l’association Parents-Professeurs de Chibok, ose : «Le pire, c’est l’incertitude. Si nous savions qu’elles sont mortes, nous ferions notre deuil. Mais chaque jour, nous nous demandons où elles sont.» Sans doute est-ce cela que les familles réclameront de leur nouveau gouvernement : savoir, au moins, ce que sont devenues leurs enfants.

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