Invité, lundi dernier, à l’émission «L’invité de la Rédaction», de la Radio nationale Chaîne III, le secrétaire général de la Fédération des textiles et cuirs de l’UGTA, Amar Takjout, est revenu sur les questions de l’heure, notamment la chute du prix du pétrole, la restructuration industrielle, l’assainissement de l’environnement économique, la bureaucratie pesante. L’invité de Souhila El-Hachemi a constaté, d’emblée, «un retard énorme en matière de mise en œuvre des réformes économiques», en estimant que «c’est ridicule de penser aux réserves de change, à chaque fois qu’il y a crise, et qu’il faudra plutôt diversifier l’économie».
Réorganiser les filières
Le domaine du textile est un potentiel qu’il faudra développer, néanmoins, deux problèmes majeurs se sont posés. Selon Takjout, des dossiers qui attendent des solutions, depuis 40 ans, demeurent sans réponse du gouvernement. Il s’agit de la «culture du coton» et celui de «la fibre synthétique», a-t-il fait savoir. En plus du textile, il y a la filière du cuir qui est «désorganisée», a regretté l’orateur, en estimant que le domaine du cuir commence de l’activité de l’élevage jusqu’à la production de la maroquinerie, telle la chaussure, par exemple. L’invité de la Chaîne III a assuré que cette activité pourra générer un surplus productif, qui sera orienté vers l’exportation. La demande sur le marché international est très importante, a-t-il assuré, en soulignant que la peau et le cuir sont des produits facilement exportables. Pour ce faire, il faudra, selon l’orateur, réorganiser la culture de l’élevage qui reste au stade primaire, a-t-il indiqué. Cela est dû à une exploration frauduleuse de cette matière première par des réseaux de contrebande, a précisé Takjout, et d’ajouter que l’autre problème posé est celui du non-respect des normes d’abattage pour la récupération de la peau.
En ce sens, il apprend que la filière perd 20 à 30% des peaux. Pour booster la volonté des responsables, il a indiqué que la Somalie fait mieux que l’Algérie. Elle exporte annuellement, vers les pays du Golfe, 2 millions de bovins, 2 millions d’ovins et plus de 100 mille têtes de chameaux, pendant que l’Algérie, précise-t-il, importe de la viande pour répondre à la demande locale. Selon le SG de la FNTC, la désorganisation de ces filières qui manque du sérieux dans le travail, a induit à leur fermeture.
«L’État doit assumer ses responsabilités»
Toutes les firmes fermées sur le territoire national doivent être rouvertes, a préconisé Takjout. Les exemples des unités fermées sont légion. Il a cité celles de Sig, Maskara, Tiaret, Tébessa, Aïn-el-Beidha… «L’État doit les reprendre ou les ouvrir au privé. Cela permettra de rééquilibrer les emplois à travers les régions nationales», a-t-il avancé en informant que «15 entreprises qui fabriquent la chaussure ont été dissoutes, et 30 dans le domaine des textiles et confections. Cela a engendré la perte de 30 mille emplois». Interrogé au sujet de la reprise de ces unités, Takjout a fait savoir qu’il y a 30 ans l’Algérie fabriquait 17 à 18 millions de chaussures, alors qu’aujourd’hui, l’on en est à moins d’un million. La demande locale est importante, elle s’élève à 70 millions de paires de chaussures. En textile, 60 à 70 millions de mètres sont fabriqués, contre 25 millions, aujourd’hui.
2 millions dollars à injecter
L’orateur a estimé que l’ouverture de ces unités est une opportunité qu’il faudra saisir, car, «elles contribueront à la relance économique, en augmentant le volume de production», a-t-il plaidé, et de soutenir qu’une hausse productive, entre 25 et 50%, aboutira à la récupération de plus de 10 mille emplois. En illustrant ses propos, Takjout a donné des exemples de pays ayant développé cette filière. «En Tunisie, l’on transforme 260 millions de mètres linéaires de textiles, en dépit qu’elle soit un petit pays», a-t-il fait remarquer, avant de préconiser que l’Algérie, qui a un potentiel énorme, pourra créer, à travers l’agriculture et l’élevage, des usines de manufacture qui engendreraient des postes de travail, et cela est réalisable, selon lui, dans peu de temps, compte tenu du caractère «primaire» de ces activités qui ne nécessitent pas «une technologique de pointe», a-t-il ajouté.
C’est de cette façon qu’on pourrait éviter des problèmes d’ordre économique au pays, a dit l’orateur, allusion faite à la crise actuelle. En attendant, la demande du pays en la matière est à 99% dépendante de l’importation. Pour attirer l’attention du gouvernement sur la situation, il a avancé que l’«Algérie est en train de renforcer la croissance des autres pays, au détriment de son économie. 60 millions d’importations sont énormes pour le pays», a-t-il estimé, en pensant que cela va endetter le pays, à long terme.
Endiguer la bureaucratie…
Au sujet de la relance économique, Amar Takjout a estimé qu’à chaque fois que l’on parle de l’économie, l’on constate qu’il y a lenteur dans la mise en œuvre des réformes qui butent sur le problème de «bureaucratie». Il a ajouté, en ce sens, qu’il y a énormément d’actions, à travers les débats, les conférences, les réunions des bipartites et tripartites, et ce, depuis au moins trois années de cela. «Les économistes et spécialistes ont été impliqués aussi bien que les opérateurs économiques relevant du public et du privé. Tous ces partenaires ont essayé, chacun en ce qui le concerne, des pistes et autres propositions sans pour autant aboutir, malheureusement, à des résultats probant», à-t-il regretté. La situation est au point mort, l’industrie est en lithargie, elle ne dépasse pas les 4 ou 5% du PIB, indique l’invité de la Chaîne III, en évoquant des problèmes de lenteur, «que l’on ne comprend pas forcément», s’est interrogé l’invité qui cite notamment le retard accusé dans l’application des lois après leur légiférassion, depuis 3 ans, à l’exemple de la «dépénalisation de l’acte de gestion», «restructuration du secteur économique marchant», qui mettent vraiment du temps, quant à la traduction des décisions sur le terrain, a-t-il indiqué.
Pour Takjout, le problème est d’ordre administratif. Il estime que «changer un ministre, à chaque fois, peut porter préjudice à tout le processus de réorganisation», car, a-t-il expliqué, la reprise en main, ou le suivi, ne se fait pas d’une manière directe, et enchînée. Pour lui, la notion du temps est très importante en économie, et perdre une journée équivaut à perdre de l’argent, et la place sur le marché national, a-t-il précisé. La notion de l’économie est, pour lui, «quelque chose qui n’existe pas en Algérie, où l’on ne mesure pas l’acte économique, lequel ne peut pas attendre pendant longtemps. On manque de vision économique, à chaque qu’il y a crise, il faut tout recommencer. Le problème réside dans le fait que les responsables n’arrivent pas à sortir de la culture de la rente, notamment de la dépendance aux hydrocarbures», a-t-il soutenu. «Nous devrions sortir de cette dépendance et d’orienter l’économie vers d’autres secteurs, tels les textiles, l’agriculture…, qui sont des créneaux créateurs de richesses», a-t-il conseillé.
Il citera les Tunisiens et les Marocains qui, selon lui, «produisent mieux que nous, en dépit du fait qu’ils disposent de moins de terres irrigables par rapport à l’Algérie. En plus de satisfaire la demande locale, ils exportent leurs produits agricoles.» Pour Takjout, ce n’est pas un problème de personnes, «le drame c’est plutôt cet ensemble de personnes politiques, économiques, sociaux» qui n’arrivent pas à se défaire de la culture de la rente, a-t-il expliqué.
Par conséquent, «cette dépendance aux hydrocarbures est fatale pour la vie sociale future du pays», a-t-il fait allusion à la fluctuation des prix du pétrole. Interrogé au sujet des décisions prises, récemment, par le ministre de l’Industrie et des Mines, qui prévoient la création de groupes industriels à partir des SGP (Sociétés de gestion des participations de l’État), l’orateur a indiqué que cette décision n’est pas nouvelle, car, selon lui, elle a été déjà prise depuis 5 ans, mais que sa mise en œuvre bat de l’aile, pour reprendre Takjout.
Le président de la République n’est pas écouté
Le chef de lÉtat a parlé de la relance économique, mais «est-ce qu’il est écouté», s’est interrogé Takjout. «Est-ce que nos dirigeants ne sont pas autistes à ce qu’il dit?» En assurant que ces derniers doivent appliquer les orientations du chef de l’État, tout en se disant être «inquiet», par la situation qui prévaut dans le pays. Sur la crise actuelle justement, l’orateur a indiqué que l’impact de ce déclin économique sur le plan social est inévitable, en prévoyant, notamment, des contestations sociales. «Il faut réfléchir et se mettre au travail au lieu de parler de gel des recrutements», a-t-il estimé, non sans critiquer à tous vents le gouvernement.
Au sujet du plan d’austérité décrété récemment, notamment le projet de loi sur le marché extérieur, l’orateur pense que la protection de la production nationale est un choix «légitime», et d’ajouter que : «Réguler le marché à l’importation est indispensable.» Des mesures par ailleurs qui étaient préconisées, indique-t-il, de l’UGTA, telle que la licence de l’importation, la taxe sur les produits importés… «Lorsqu’on ne peut pas équilibrer la balance commerciale, il faudra soit produire plus ou arrêter l’importation», a-t-il recommandé, en substance.
Farid Guellil