Malgré l’annonce de la résistance palestinienne d’accepter, avec réserves, la proposition américaine portée par Donald Trump pour un cessez-le-feu et un échange de prisonniers, des analystes politiques palestiniens mettent en garde : le projet de déplacement massif de la population de Ghaza n’a jamais été abandonné.
Selon eux, il s’est simplement métamorphosé, passant du concept de « transfert forcé » à celui de « migration volontaire », maquillé sous des termes plus doux mais obéissant à la même logique d’expulsion. Le journaliste et analyste politique Wissam Afifa estime que, malgré le ton conciliant affiché par Washington et Tel-Aviv, le plan de déplacement reste profondément enraciné dans la mentalité coloniale sioniste et dans l’agenda stratégique américain. Interrogé par Quds Press, il explique que « la fin officielle du projet de transfert n’a jamais été annoncée. Il y a certes un recul du discours public sur le sujet, mais cela ne signifie pas qu’il a disparu. Il a seulement changé de forme, sous le nom trompeur de migration volontaire. » Afifa décrit un processus délibéré visant à « créer un environnement invivable à Ghaza », transformant le territoire en un piège humanitaire destiné à pousser ses habitants à l’exil par désespoir plutôt que par contrainte directe. « Depuis deux ans, le gouvernement de l’occupation a méthodiquement détruit les infrastructures, anéanti les moyens de subsistance, et étranglé l’économie. Le silence actuel autour du mot “transfert” n’est qu’une stratégie de camouflage », précise-t-il. Selon lui, l’absence de discours officiel ne traduit pas une intention d’abandonner le projet, mais bien un ajustement tactique imposé par la pression internationale et le refus catégorique de plusieurs pays arabes d’accueillir des réfugiés palestiniens. « Les médiateurs régionaux ne veulent pas être complices d’un plan honteux qui viderait Ghaza de sa population et transformerait la cause palestinienne en simple question humanitaire », souligne Afifa. Pour cet analyste, la résistance populaire a joué un rôle central dans l’échec partiel du plan. L’attitude des habitants de Ghaza, refusant de quitter le nord pour le sud malgré les bombardements et la famine, a démontré, dit-il, « un attachement viscéral à la terre ». Il avertit cependant que « si la reconstruction tarde et que la vie reste impossible, certains pourraient finir par céder à la tentation de partir, non par choix, mais par épuisement ». Même son de cloche du côté de Zou al-Fikar Suergo, analyste politique palestinien basé à Ghaza, qui va plus loin en qualifiant le projet de transfert de « cœur du projet sioniste depuis ses origines ». Pour lui, « le déplacement des Palestiniens n’est pas un plan secondaire, c’est la pierre angulaire de l’entreprise coloniale israélienne, visant à achever la mainmise sur toute la Palestine historique ». Suergo estime que « l’occupation n’hésitera pas à exploiter toute occasion pour relancer le plan de transfert, même sous couvert de cessez-le-feu ou de reconstruction ». Il décrit une stratégie double : destruction systématique des conditions de vie à l’intérieur, et ouverture sélective de routes migratoires à l’extérieur. « Le régime sioniste cherche à rouvrir les points de passage et à négocier avec des pays susceptibles d’accueillir les Palestiniens. Il compte sur la fatigue, la faim et la perte de repères de ceux qui ont tout perdu pour qu’ils acceptent de partir », dit-il. Mais, nuance Suergo, ce plan ne pourra réussir que partiellement : « L’histoire palestinienne est une histoire de résistance. Malgré la destruction, les gens restent. Le prix du départ est moralement plus lourd que celui du siège. Même dans l’enfer que l’occupation a instauré, les Palestiniens refusent d’être déracinés. » Il ajoute que l’échec du plan s’explique aussi par le refus catégorique de l’Égypte d’ouvrir ses frontières à un exode de masse, ainsi que par le manque d’États prêts à se compromettre dans un projet perçu comme une trahison de la cause palestinienne. « Participer à une telle entreprise serait une tache indélébile pour tout gouvernement arabe ou occidental », tranche-t-il. La clause 12 du plan Trump, dévoilée le 29 septembre dernier et validée par Hamas le 3 octobre, stipule pourtant noir sur blanc qu’« aucun habitant de Ghaza ne sera contraint à quitter le territoire » et que « ceux qui souhaitent partir seront libres de le faire et de revenir ». Elle ajoute que les États-Unis « encourageront les habitants à rester pour bâtir une Ghaza meilleure ». Derrière cette rhétorique rassurante, les analystes y voient une formulation trompeuse ouvrant la voie à une dépopulation progressive du territoire. Pendant ce temps, la réalité sur le terrain contredit les promesses de paix. La guerre d’extermination menée par l’entité sioniste, avec un soutien américain total, a fait jusqu’à dimanche plus de 67 000 martyrs, 169 000 blessés et plus de 9 000 disparus, selon le bureau d’information gouvernemental de Ghaza. Les Nations unies signalent une famine généralisée ayant déjà coûté la vie à des centaines d’enfants et de civils, tandis que plus de deux millions de Palestiniens vivent dans des conditions de déplacement forcé, au milieu de ruines. Les chiffres sont vertigineux : 88 % des bâtiments de Ghaza détruits, des pertes estimées à plus de 62 milliards de dollars, et 77 % du territoire sous contrôle militaire direct de l’occupation. Ces données traduisent non pas une simple guerre, mais une entreprise de destruction méthodique destinée à rendre le territoire inhabitable — le prélude, selon de nombreux experts, à la mise en œuvre du vieux rêve sioniste d’un Ghaza sans Palestiniens. Ce qu’on appelle désormais la « migration volontaire » n’est, pour les habitants de Ghaza, qu’un nouvel euphémisme pour un crime ancien : le déracinement d’un peuple que l’on tente d’effacer, non plus par la force seule, mais par l’usure du désespoir.
M. Seghilani