L’épopée de Gilgamesh se dresse comme un monument littéraire et mythologique dans les plaines fertiles de Mésopotamie, où le Tigre et l’Euphrate murmurent des secrets anciens. Ce récit fondateur, datant de près de quatre mille ans et considéré comme la plus ancienne fiction écrite de l’humanité, transcende les âges. C’est un chant poétique et philosophique qui explore les thèmes universels de l’amitié, de la quête de sens, de la confrontation avec la mort et le désir de l’immortalité.
Personnage mythologique, épopée universelle
Gilgamesh, roi d’Uruk, est un personnage complexe. À la fois tyran et héros, son âme brûle d’une soif insatiable de gloire et de pouvoir. Son parcours est marqué par l’hybris et la démesure. Mais son destin bascule avec la rencontre d’Enkidu, homme sauvage créé par les dieux pour tempérer son arrogance. Leur amitié, aussi profonde que tumultueuse, devient le cœur battant de cette épopée intemporelle. Enkidu, miroir et complément de Gilgamesh, symbolise la nature sauvage et libre, un contraste saisissant avec la civilisation oppressive d’Uruk.
Leur amitié, forgée dans l’épreuve et la bataille, est une célébration de la fraternité et de la loyauté. Ensemble, ils affrontent le monstre Humbaba, gardien de la forêt des Cèdres, et le Taureau Céleste, envoyés par la déesse Ishtar pour punir Gilgamesh de son mépris. Ces combats épiques, symboles de la lutte de l’homme contre les forces du chaos, illustrent la quête de gloire et de reconnaissance. Mais c’est dans la mort d’Enkidu, frappée par les dieux pour avoir participé à la mort de Humbaba, que Gilgamesh découvre l’angoisse de la mortalité.
La mort d’Enkidu plonge Gilgamesh dans un désespoir profond, une prise de conscience brutale de sa propre finitude. Cette perte le pousse à entreprendre un voyage désespéré à la recherche de l’immortalité, quête qui le mène aux confins du monde connu. Il rencontre Utnapishtim, le seul homme à avoir survécu au Déluge et à avoir obtenu l’immortalité des dieux. Utnapishtim lui révèle le secret d’une plante qui peut rendre la jeunesse, mais un serpent la vole, condamnant Gilgamesh à accepter son destin de mortel.
L’épopée de Gilgamesh est un récit sublime et poignant sur la condition humaine, une méditation sur la vie et la mort, l’amitié et la solitude, la gloire et l’humilité. Gilgamesh, en acceptant sa mortalité, trouve une forme de sagesse et de paix. Il retourne à Uruk, contemplant les murs de sa ville avec fierté, comprenant que sa véritable immortalité réside dans les œuvres qu’il a accomplies et les récits qui seront transmis.
Ce récit, par sa profondeur et sa complexité, continue de résonner. Il explore les tensions entre la nature et la civilisation, l’individu et la communauté, la quête de sens et l’acceptation de la finitude. Gilgamesh, en tant que héros tragique, incarne les espoirs et les désillusions de l’humanité, une figure intemporelle qui nous rappelle notre propre fragilité et notre désir éternel de transcendance.
Mémoire d’argile, terre de cendre
Les tablettes d’argile de cette épopée, découvertes au XIXe siècle en Irak actuel, berceau de l’ancienne Mésopotamie, sont aujourd’hui dispersées dans les grands musées du monde. Le British Museum à Londres, le Louvre à Paris, le Musée de l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie, et le Musée d’Istanbul, entre autres, abritent ces artefacts cunéiformes précieux, souvent acquis dans des circonstances troubles, marquées par l’élan impérialiste des puissances coloniales. Ces institutions, malgré leur rôle de gardiennes de ces vestiges, symbolisent aussi l’arrogance de certaines nations qui, dans leur quête de domination culturelle, ont accaparé ces biens, les éloignant de leur terre d’origine. Le Musée national d’Irak à Bagdad, tout en conservant quelques fragments de la version standard en akkadien, ne peut que constater l’ampleur de cette spoliation, rappel douloureux des déséquilibres géopolitiques et des injustices historiques. Trésor inestimable de l’humanité, l’épopée de Gilgamesh résonne étrangement avec les tragédies contemporaines du Moyen-Orient.
M. Yefsah