D’abord il faut souligner que le phénomène n’est pas propre à notre pays. Durant la pandémie de la Covid-19, les achats massifs de masques et de vaccins par les États de l’Union européenne juxtaposés à la féroce polémique engagée entre le professeur Didier Raoult et l’industrie pharmaceutique mondiale, avaient placé le curseur sur le lien très étroit entre l’argent et la santé. Ce n’est pas la seule cause qui a fait basculer la médecine dans le commerce. Cela avait commencé, chez nous, par les « pannes » des équipements de l’imagerie du secteur public et les inacceptables rendez-vous à long terme. Le phénomène s’est aggravé avec l’arrivée des cliniques privées. Longtemps, la loi du silence a prévalu. Ni les praticiens, ni les malades et leurs familles qui, naturellement, sont en position de faiblesse dans ces cas-là n’en faisaient cas.
De fil en aiguille et avec le temps, la « marchandisation » de la médecine s’est décomplexée. La dernière affaire est l’arrestation, le 31 mai dernier, d’un professeur en chirurgie au CHU « Ibn Rochd » (Annaba). Il avait exigé de son patient, qui a déposé plainte, une certaine somme d’argent pour l’opérer. Les chefs d’accusation retenus contre lui sont : « demande, par un fonctionnaire public, d’indu avantage en contrepartie de l’accomplissement d’un acte relevant de ses fonctions, ainsi que d’abus de fonctions ». La manière dont s’est pris ce praticien n’est pas courante mais démontre que le laxisme favorise le développement du phénomène. Auparavant, ce sont des praticiens du service public exerçant une activité complémentaire dans le secteur privé, qui demandent à leurs patients de les rejoindre à la clinique privée où ils exercent. L’argument étant l’immédiateté du rendez-vous et la qualité de la prise charge. En somme le secteur public sert de « couverture » aux praticiens qui deviennent des rabatteurs. Le plus sordide dans ces affaires est que dans les cas où l’intervention est à hauts risques (ce que n’ignore pas le médecin), le paiement d’avance est exigé. D’autres cas encore favorisent cette « marchandisation ». Par exemple cette tendance à se faire soigner à l’étranger pour le moindre petit bobo pour les plus riches. Ensuite, il y a eu la tendance du « m’as-tu vu » où il est « recommandé » (même en empruntant) de se rendre à l’étranger se faire soigner.
Toujours dans le « m’as-tu vu », mais pour une strate en dessous, il y a la préférence de la clinique privée à l’hôpital public. Justifiée tout de même par les rendez-vous lointains. Dans certains cas, les proches se cotisent. Aucune donnée, aucune statistique ne permet d’avancer un quelconque taux de guérison lié au choix de suivre son praticien de l’hôpital public vers la clinique privée où il officie. Le seul « bénéfice » est le souci de paraître (même à un moment de vie et de mort) pour le patient et sa famille. Devant ce constat, plutôt triste pour une noble profession mais également pour toute la société qui sombre dans l’infantilisation, il n’y a pas de mots pour justifier l’injustifiable. Dans d’autres cas, le malade se plie à l’exigence des praticiens cupides, pensant, à raison, n’avoir pas d’autres choix.
Au vu de l’offre en très forte hausse, la concurrence s’installe. S’ensuit la publicité qui fleurit sur les réseaux sociaux. Des médecins se mettent en avant dans le rôle de forains (avec tout le respect dû à cette catégorie de travailleurs) sans honte ni dignité. Quelques fois en faisant témoigner leurs patients qui jouent le jeu, pensant qu’en retour, une meilleure prise en charge leur sera accordée. Plus rassurantes sont ces voix de médecins qui dénoncent ces comportements. Parmi eux, le conseil de l’ordre des médecins de Blida qui organise deux journées consacrées à cette dérive. La première est prévue le 21 juin prochain au centre universitaire de Tipasa. Suivie, le 28 juin prochain, par une autre à l’EHS (Établissement hospitalier spécialisé) de Blida. Le président de ce conseil régional de l’ordre des médecins de Blida, Dr Yacine Terkmane, a publié sur son compte Facebook une communication intitulée «réseaux sociaux et déliquescence de l’éthique médicale». À lire absolument. Voici quelques extraits (« L’acte médical n’est pas une denrée, une marchandise éligible aux règles du marché, à la publicité… La médecine libérale traverse une crise morale profonde… Le redressement est encore possible…). Il est de ceux qui veulent protéger la médecine de la déshumanisation !
Zouhir Mebarki
zoume600@gmail.com