Ces derniers jours, l’Autorité de régulation de l’audiovisuel a rendu des décisions « vertueuses » à l’égard de deux séries TV diffusées par des chaînes privées. Bien qu’elles soient motivées par la sacralité du mois de Ramadhan, ses sanctions causent un dommage collatéral au progrès cinématographique national. L’interrogation est de savoir sur quelle mesure de référence s’est appuyée l’ARAV pour juger que tel programme de télévision est « attentatoire » aux valeurs religieuses nationales ?
Depuis le début du mois de Ramadhan, deux feuilletons télévisés, à savoir « Houb El Moulouk » et « Babour Ellouh », sont diffusés respectivement par les chaines privées « Ennahar » et « Echorouk ». Les deux séries connaissent un succès plus ou moins retentissant auprès des téléspectateurs algériens. À chacun son appréciation, loin s’en faut. Les amoureux du petit écran ne s’en lassent pas après le f’tour familial grassement servi. Bien au contraire, ils apprécient, chacun à sa façon, le génie du producteur algérien. À ce stade, tout allait bien, jusqu’à ce que des scènes scrupuleusement relevées dans quelques épisodes ne soient pointées du doigt et frappées d’une croix rouge.
Depuis lors, on aura tout vu et entendu sur les réseaux sociaux à ce sujet. Les gardiens des valeurs morales et religieuses nationales sont à l’affût. Une grande polémique est engagée au sujet de la non-conformité de ces scènes de séries jugées « dépravées » et « attentatoires » à la sacralité du mois de Ramadhan. Au caractère déjà sensible du sujet, la polémique est amplifiée par l’effet des réseaux sociaux. Et les voix loufoques s’y invitent, comme celle des islamistes qui ont investi les plateformes d’échanges sur internet pour émettre leurs Fatwas.
Suite à l’étendue de la polémique qui a gagné des pans entiers de la jeunesse algérienne et accentuée par l’intrusion du discours fanatique, l’ARAV sort de sa torpeur sachant qu’on ne l’a jamais vu, ou peut, venir depuis quelques mois. L’autorité de Mohamed Louber, sans se pencher sérieusement sur les deux séries de télévision, avec rigueur professionnelle, impartialité et loin de toute pression extérieure, a cédé aux appels des réseaux sociaux. L’ARAV convoque ainsi les deux chaines de télévision qui ont été sommées de suspendre les deux séries. Le motif invoqué par l’ARAV a ainsi accouché d’une décision pour le moins populiste. À savoir, a-t-elle indiqué concernant le feuilleton Babour Ellouh « les informations relayées sur les réseaux sociaux concernant des dépassements attentatoires à la sacralité du mois de Ramadhan et aux principes de notre religion ». On connait jusque-là l’ARAV qui a pour mission de veiller au libre exercice de l’activité audiovisuelle, à l’impartialité, à l’objectivité, à la transparence et au respect des valeurs et des principes de la société algérienne. Mais, pas l’ARAV qui mord à l’hameçon des voix loufoques pour faire aboutir à la suspension d’une production cinématographique nationale réalisée après un travail harassant et laborieux de leurs auteurs. L’Arav est dans l’obligation de savoir qu’avant leur diffusion, ces deux séries ont été soumises à un processus de contrôle de la part des autorités, régissant la Culture notamment. N’est-il pas judicieux dès lors de se contenter de sa mission cartésienne au lieu de se prêter à l’exercice difficile des valeurs et de la morale religieuses dont la commission de la Fatwa est habilitée.
Farid Guellil