Les forces anti-émeute soudanaises ont tiré des gaz lacrymogènes dimanche pour disperser des manifestations à Khartoum et au Darfour (ouest), région où des rassemblements ont eu lieu pour la première fois depuis le début de ce mouvement de contestation contre le pouvoir.
«Paix, paix» et «la révolution est le choix du peuple», scandaient les protestataires dans les rues du quartier de Bahari, dans la capitale soudanaise, avant que la police n’intervienne pour réprimer la manifestation, ont indiqué des témoins à l’AFP. Des manifestants ont brandi le drapeau soudanais et des banderoles sur lesquelles était écrit «paix, justice, liberté», un des slogans du mouvement qui a éclaté le 19 décembre, après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Dans un pays en plein marasme économique, les manifestations se sont rapidement transformées en une contestation du président Omar el-Béchir, qui dirige le Soudan d’une main de fer depuis un coup d’Etat en 1989. Vingt-quatre personnes sont mortes depuis le début du mouvement, selon un bilan officiel. Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International parlent elles d’au moins 40 morts, dont des enfants et des personnels médicaux. Des témoins ont affirmé à l’AFP avoir vu la police poursuivre les manifestants dans les rues de Khartoum dimanche. «C’est le jeu du chat et de la souris», a confié l’un d’entre eux. La police a arrêté plusieurs manifestants, selon des témoins. Des vidéos du rassemblement ont été diffusées sur les réseaux sociaux, mais n’ont pas pu être vérifiées de manière indépendante.
Manifestations au Darfour
L’Association des professionnels soudanais, qui regroupe des médecins, des professeurs et des ingénieurs, a appelé à «une semaine de soulèvement» contre le président Béchir, y compris au Darfour. Vaste comme la France, cette région de l’ouest est secouée depuis 2003 par un conflit opposant les forces soudanaises à des rebelles issus de minorités ethniques et s’estimant marginalisés par le pouvoir central. Le conflit au Darfour a fait plus de 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU et le président soudanais est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour répondre de génocide et crimes de guerre dans ce conflit. Dimanche, des rassemblements ont eu lieu pour la première fois depuis le 19 décembre au Darfour. La police a dispersé les manifestants à coups de gaz lacrymogènes à Al-Facher, capitale de l’Etat du Darfour-Nord, et à Niyala, capitale de l’Etat du Darfour-Sud, d’après des témoins. Leur nombre était pour l’heure difficile à évaluer. Environ 1.000 personnes ont été arrêtées dans différentes localités du Soudan en trois semaines de manifestations, selon des groupes de défense des droits humains, notamment des militants, des leaders de l’opposition et des journalistes. L’Union européenne a appelé vendredi à la «désescalade» et demandé aux autorités de libérer tous les opposants détenus «arbitrairement». La Grande-Bretagne, la Norvège, les Etats-Unis et le Canada ont dit leur inquiétude face à la mort de manifestants et aux arrestations et prévenu que les actions de Khartoum «auront un impact» sur leurs relations. Pour ses détracteurs, le régime est responsable de la crise économique, pour sa mauvaise gestion et pour avoir consacré le gros du budget aux forces de sécurité face aux conflits qui ont éclaté ces dernières années dans plusieurs provinces. M. Béchir continue d’attribuer à Washington la responsabilité des maux économiques, pointant l’embargo imposé en 1997 par les Etats-Unis pour le soutien présumé de Khartoum à des groupes islamistes, même s’il a été levé en 2017. Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, le pays est confronté à une inflation de près de 70 % par an et à une grave crise monétaire. Plusieurs villes souffrent de pénuries de pain et de carburant.