Dans son dernier roman «Nulle autre voix» Maïssa Bey livre les échanges entre une écrivaine et une ancienne détenue, condamnée pour le meurtre de son mari, des correspondances qui explorent le psyché d’une anti-héroïne mise à nu par sa nouvelle condition de criminelle. Ce roman de 202 pages, mettant en scène un face à face anxiogène entre une écrivaine à la conquête d’un nouveau champ d’écriture et de personnage hors du commun, et une ancienne détenue, menant une vie de réclusion chez elle après quinze ans de détention, a été publié récemment chez les éditions Barzakh. Oscillant entre le récit des échanges entre les deux femmes, racontés par l’ancienne détenue, et une dizaine de lettres écrites par la criminelle à l’écrivaine, ce roman nourrit au fil du récit la curiosité du lecteur, et celle de l’écrivaine, envers cette femme hors du commun, qui a donné la mort et a vécu quinze ans en réclusion. L’écrivaine, personnage à peine présent ne sert qu’à susciter les confidences livrées au compte-gouttes d’une femme battue, humiliée, et soumise qui a trouvé sa liberté et sa paix intérieur dans le crime et dans la détention. Si les mots clés de ce roman, qui pousse le lecteur à anticiper les faits par curiosité, semblent être «Femme, meurtre, prison, violence, et silence» le récit tourne en réalité autour de la curiosité, les confidences, la confiance, la honte, le retour progressif à la vie ou encore l’amour et l’amitié, ou leurs absences. L’auteure ne parle que très subtilement de ce crime violent, perçu comme un acte libérateur par son auteur qui n’a pas soufflé mot pour se défendre, préférant se réfugier en prison à l’abri du regard de son entourage qui n’a jamais perçu sa détresse de femme humiliée, rabaissée, battue qui n’a jamais connu l’amour ni aucun plaisir de la vie. Pour tenter de dresser le portrait de «la criminelle» les deux femmes évoquent souvent son enfance, sa relation avec sa mère, qui s’est débarrassé d’une «fille instruite mais au physique ingrat» en lui arrangeant un mariage précipité, et avec son père «pas assez présent dans sa vie». Assurant son rôle d’anti-héroïne jusqu’au bout, les histoires de la criminelle restent anodines même quand le lecteur et l’écrivaine s’attendent à des «anecdotes croustillantes» sur la vie carcérale où elle s’est faite une place en écrivant des lettres et des documents administratifs pour ses codétenues dont elle ne parle que de manière évasive, ou sur la nuit et les détails du meurtre dont elle ne parle que de son point de vue libérateur. Au fil du récit une forme d’amitié très complexe et fragile, pleine de non-dits, s’installe entre les deux femmes, l’ancienne détenue revenue dans son appartement vivant isolée de tout, elle installe progressivement l’écrivaine au centre de sa vie et s’adonne à un jeu de manipulation pour la tenir en haleine.