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Mourad El Besseghi, analyste économique et financier : «nous sommes obligés de passer à la rigueur budgétaire et fiscale»

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Le Courrier d’Algérie : Le gouvernement algérien a approuvé dernièrement l’avant-projet de loi de finances complémentaire 2015. Le ministre des Finances a refusé de confirmer certaines révélations sur le projet qui ne sont, selon lui, que des « spéculations ». Dans quelle conjoncture cette loi de finances complémentaire a été préparée ?
Mourad El Besseghi : Il faut tout d’abord dire que la loi de finances complémentaire 2015 (LFC 2015) est encore au stade de projet et tant qu’elle n’est pas publiée, tous les commentaires sont fondés sur des informations glanées çà et là, mais qui sont hautement plausibles compte tenu des déclarations politiques.Elle sera certainement promulguée sous la forme d’ordonnance au cours de l’intersession parlementaire sans un débat avec les partis concernés, ce qui ne concourt pas à l’adhésion des principaux intervenants dans la machine économique. Cette LFC a été rendue nécessaire pour corriger et ajuster la loi de finances 2015 qui a été pensée et conçue dans une autre conjoncture. La chute drastique des prix des hydrocarbures durant la deuxième moitié de l’année 2014, qui perdure encore, et qui semble s’installer dans la durée a incontestablement des conséquences sur les politiques économiques du pays. L’économie algérienne étant fortement dépendante des recettes tirées de cette matière, toutes les politiques économiques sont à reconsidérer compte tenu de cette nouvelle donne.De surcroît lorsqu’on sait qu’avec l’exploitation intensive du gaz de schiste, les Etats-Unis sont passés d’une position d’importateur net en hydrocarbures au rang de premier producteur mondial d’or noir devançant, pour la première fois dans l’histoire, l’Arabie Saoudite et la Russie. Dégageant désormais des excédents, les Etats-Unis sont en mesure d’offrir des quantités additionnelles dans un marché caractérisé par une surabondance de l’offre, alors qu’ils représentaient un consommateur pesant sur le marché. En conséquence, les spécialistes prédisent au mieux une stabilisation des prix du baril autour des 60 dollars pour les trois prochaines années. Il est donc tout à fait normal de corriger et d’ajuster nos politiques économiques.Tout ceci pour dire que la loi de finances complémentaire 2015 est un passage obligé.

Les informations et révélations se sont multipliées ces derniers jours. On parle de révision des taux d’IBS (Impôt sur les bénéfices des sociétés) et de la TAP (Taxe sur l’activité professionnelle) dans le but d’encourager la production nationale comme annoncé par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le 25 mai, lors d’une rencontre avec les cadres du secteur de l’Énergie. Qu’en pensez-vous ?
Comme attendu, la principale mesure concerne l’encouragement de la production nationale à travers un train de mesures incitatives (fiscales et autres), pour conforter les entreprises de production qui pourraient contribuer à la réduction des importations des produits de consommation. Selon les informations largement rapportées par la presse, le taux de l’Impôt sur le bénéfice des sociétés, IBS, sera revu à la baisse pour les activités de production de biens, de bâtiment et de travaux publics (BTP) et du secteur du tourisme qui passera de 23% à 19%. Il y a donc la restauration de l’ancien taux en vigueur avant la loi de finances 2015 qui a unifié le taux pour toutes les catégories d’entreprises mettant sur la même ligne le producteur créateur de richesses et pourvoyeur d’emplois et les autres catégories d’entreprises (Importations, services, commerciales). D’ailleurs pour ces dernières, ce taux sera désormais de 27% soit plus de 2% par rapport à l’ancien taux, auxquelles elles étaient assujetties, avant la loi de finances 2015.

Sur le plan pratique, certaines personnes morales exercent à la fois deux activités qui relèveraient en termes d’IBS de deux taux différents. Comment vont-elles se retrouver ?
Elles seraient obligées de tenir une double comptabilité et séparer les activités pour soumettre leurs résultats au taux d’IBS approprié. Le non-respect de cette obligation va entrainer systématiquement l’application du taux de 27% sur la totalité de l’activité. En ce qui concerne la TAP (taxe sur l’activité professionnelle) qui touche les recettes brutes réalisées par les contribuables et qui est fixée à 2% sur le chiffre d’affaires, elle est également ramenée à un taux de 1% pour les activités de production de biens, sans que celles-ci ne puissent avoir la possibilité de bénéficier des réfactions (réduction de l’assiette ou de la base imposable) prévues actuellement et qui sont en général de 30%. Par contre, les activités du BTP sont maintenues à 2% mais bénéficient d’une réfaction (réduction de la base imposable) de 25%. Il faut préciser qu’il s’agit d’un impôt perçu au profit quasi-exclusif des collectivités locales et sa réduction pourrait affecter les finances locales notamment pour les communes «pauvres». À moins qu’il ne soit compensé par d’autres types d’impôts et de taxes. Par ailleurs, afin de réduire les importations de produits finis et d’augmenter sensiblement leurs prix, toutes les domiciliations pour les importations de marchandises seront soumises à une taxe de 1% du montant de l’importation, avec un seuil minimum de 20 000 dinars. Cette taxe est actuellement de 10 000 dinars, quel que soit le montant de l’importation. À signaler, au passage, que cette taxe est de 3% pour l’importation de services et ne subira aucun changement.Ces augmentations vont certainement se répercuter rapidement sur les prix des produits de consommation. Déjà, pour les quatre premiers mois de l’année en cours selon l’Office National des Statistiques (ONS), le taux d’inflation a avoisiné les 5%. Il est donc attendu une augmentation sensible de ce taux d’inflation cadré à 3% dans la loi de finances pour 2015 et qui devra être révisé à la hausse.

On parle également de la rationalisation de la consommation du carburant par la mise en place d’une carte de carburant. Qu’en pensez-vous ?
On ne sait pas s’il s’agit d’une rationalisation ou d’un rationnement, mais ce qui est certain c’est que cette carte va engendrer des pratiques malsaines (favoritisme, clientélisme, corruption, etc.…). Fixer un plafond de consommation au-delà duquel le carburant coûterait plus cher, serait une source de problèmes inextricables. Outre la difficulté technique pour sa mise en place dans un délai irréaliste, le calcul de la consommation qui devrait être fait pour chaque type de véhicule, n’est pas une mince affaire. L’arrêté interministériel (Finances- Energie) qui devrait prendre en charge cet aspect et qui doit être publié bien avant le démarrage effectif prévu pour le 01/01/2016, serait certainement attendu avec beaucoup d’intérêt et de crainte, en raison de sa complexité technique. La réalité incontournable à laquelle on ne peut se substituer, c’est que les prix des carburants doivent être augmentés progressivement sur une période moyen terme afin de refléter le prix réel. La technique consisterait à supprimer graduellement les soutiens de l’Etat aussi bien pour le producteur que le consommateur. C’est la seule manière de juguler les fuites préjudiciables que nous connaissons à nos frontières. Mais aussi, il faut bien réfléchir pour certaines catégories de consommateurs telles que l’agriculture, le transport en commun et le transport des marchandises pour éviter des «poussées inflationnistes» sur l’ensemble des autres produits.

Plusieurs taxes et impôts ont été maintenus en vigueur, amendés ou institués à destination des ménages et des entreprises. Les taxes foncières, taxes sur les déchets ménagers ou sur l’acquisition de voitures sont entre autres concernées. Quel commentaire faites-vous dans ce sens ?
Les taxes d’enlèvement des déchets ménagers et les taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties sont perçues exclusivement au profit des communes et leur relèvement est en principe destiné à compenser l’impact généré par la réduction de la TAP au profit des entreprises de production.
Il en est de même pour l’impôt sur la fortune qui connaitra un réaménagement par le relèvement du seuil plancher passant de 50 millions de dinars à 100 millions de dinars. À noter que le cinquième des recettes tirées de cet impôt est recouvré pour le compte des communes.Outre la hausse substantielle des tarifs de la vignette auto, les automobilistes devront payer davantage leurs carburants s’ils dépassent un certain plafond de consommation. La taxe sur les véhicules neufs (de tourisme, utilitaires et de transport de personnes), importés ou acquis localement, est fortement revue à la hausse, avec des augmentations de l’ordre de 30 mille dinars à 100 mille dinars selon le type de véhicules.

Le gouvernement prévoit aussi à travers la LFC 2015 de continuer d’exempter les médicaments de taxes sur la valeur ajoutée (TVA) mais de taxer certains produits au taux normal de 17%. Est-ce une bonne mesure selon vous ?
La facture des produits pharmaceutiques importés a toujours été lourde puisqu’elle a atteint 2,6 milliards de dollars en 2014 contre 2, 3 milliards en 2013, soit une augmentation de plus de 10%. La diminution observée pour les quatre premiers mois de l’année 2015 par rapport à la même période de l’année écoulée est à analyser avec beaucoup de circonspection pour ne pas verser dans des conclusions hâtives de rationalisation et autres. Cette facture est incompressible et les seules alternatives crédibles pour la réduire seraient de booster la production nationale par l’encouragement de l’acte d’investir dans la fabrication de produits pharmaceutiques, mais aussi d’agir sur les prix à l’importation, car selon certains spécialistes, les laboratoires étrangers nous facturent 30 à 40 % plus cher que nos pays voisins. Sur le plan fiscal, le médicament a toujours bénéficié de l’exemption de la TVA à l’exception des médicaments de confort qui sont soumis à la TVA et qui devrait être assujettis désormais au taux normal de 17%. À préciser que les médicaments de confort concernent tous les articles médicamenteux qui ne disposent pas d’effet thérapeutique avéré. Par exemple, les vitamines peuvent être concernées si les spécialistes considèrent que leur efficacité n’est pas d’ordre thérapeutique. Pour le citoyen qui est couvert par une assurance sociale, l’impact de cette mesure sera très faiblement ressenti, à l’exception des personnes qui ne sont couvertes et pour lesquelles d’autres dispositifs de soutien sont prévus.

La loi de finances complémentaire touchera aussi aux travailleurs étrangers, qui devront obligatoirement détenir un permis de travail à partir de juillet 2015. Les employeurs devront compter 10 000 DA par permis, ce qui engendrait pour le Trésor public une recette de 600 millions de DA. Qu’en pensez-vous ?
Il y a une série de mesures de ce genre destinées à mobiliser des ressources oisives comme c’est le cas aussi des documents délivrés par les médecins vétérinaires ou sur les navires corailleurs. D’autres mesures encore sont prévues en direction de ceux qui travaillent dans l’informel pour les encourager à s’inscrire dans la sphère réelle.

Si toutes les révélations de la presse venaient à se confirmer avec la publication du projet de loi, est-ce que ces mesures seront, selon vous, bénéfiques pour l’économie du pays ?
Certainement, il n’y a pas d’autres alternatives, nous sommes obligés de passer à la rigueur budgétaire et fiscale, d’enclencher un programme pour la diminution des dépenses de l’Etat, de mettre en œuvre des actions pour réduire la consommation, d’encourager la production nationale industrielle et agricole qui contribuera à la stabilisation des prix pour freiner à court terme l’augmentation des salaires. Nos attitudes ont toujours été irrationnelles dès lors qu’une certaine aisance s’installe. L’euphorie passée, c’est dans ces situations où l’on doit se remettre en cause sans hésitation et initier des actions porteuses de croissance.
Entretien réalisé par Ines B.

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