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Le professeur abdelouahab Bengounia explique pourquoi le choléra en Algérie en 2018 au «Forum du Courrier d’Algérie» : «La riposte à une pandémie exige un savoir-faire médical !»

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Pourquoi cette brusque irruption du choléra, une maladie éradiquée en Algérie depuis plus de vingt ans, dans le champ du temporel ? Pourquoi la communication officielle a été à ce point déficiente pour permettre toutes les rumeurs et tous les excès ? Pourquoi cette maladie, qui sera, de toute évidence, maîtrisée sous peu, a-t-elle été révélatrice d’un système de santé inefficace ? Quels sont les outils qui doivent être mis en route pour circonscrire le fléau avant la rentrée sociale ? Et, enfin, pourquoi l’Algérie ne possède-t-elle pas un Institut de «Veille sanitaire», qui ferait partie du système de la sécurité nationale, pour surveiller et prévenir toutes sortes de maladies et de fléaux ?

À ce type de questions et à d’autres, «le Courrier d’Algérie» a invité, pour son Forum, le Professeur Abdelouahab Bengounia, chef de service au CHU Mustapha, chercheur en sciences médicales, observateur attentif à la santé publique depuis une bonne quarantaine d’années, qui était bien placé pour répondre et apporter un éclairage nouveau sur la question de l’heure, qui agite citoyens et gouvernement : le choléra.
La pandémie a motivé des réactions en chaîne, mais souvent anachroniques et déficientes, pendant le temps où le nombre des cas suspects de choléra s’élève à 147, dont 49 confirmés, avec 10 nouveaux cas enregistrés ces derniers jours.
Hasbellaoui, qui a affirmé que Bouteflika s’enquiert quotidiennement de l’évolution de l’épidémie du choléra, s’est engagé à éradiquer cette maladie dans les prochains jours, en tout cas avant la rentrée des élèves.
Bien que remonté contre un système sanitaire, qu’il sait déficient pour y avoir été au cœur Bengounia s’est voulu rassurant : «La situation est certainement maîtrisable, mais le choléra ne sera pas totalement éradiqué».
Faisant un large survol académique de la question, avec vidéo-projection, chiffres et graphiques à l’appui, Bengounia a expliqué que le système sanitaire exige qu’on regarde d’abord, par quels pays nous sommes entourés, et quel est le niveau de la pandémie dans ces pays ; or il se trouve que l’Algérie est cernée par le Sud par plusieurs pays où le choléra est présent, et que de ces mêmes pays, des flux importants de migrants arrivent continuellement en Algérie. «Je devine la portée de ce que je dis à un moment où parler de migrants devient un sujet aussi délicat ; mais je mesure mes mots et j’en atténue la portée : puisque la migration devient un phénomène humain en mouvement, alors, à ces migrants, il faut consentir des structures d’accueil, mettre à disposition des outils d’hygiène et de sécurité, pour pouvoir contrôler et prévenir».
Dans une perspective plus globale, Bengounia explique que l’Algérie fait 4 fois la France, 5 fois le Maroc et 20 fois la Tunisie, et ce vaste pays requiet de grands moyens, de grands hommes et de grandes stratégies : « En 1905, nous étions 4 millions d’Algériens ; en 2018, nous en sommes à 40 millions, c’est-à-dire que la population de l’Algérie s’est multipliée par vingt ; or la production algérienne, durant les mêmes dates s’est divisée par deux, malgré les moyens techniques actuels et les outils mis à contribution. Il y a aussi une régression sur le plan du travail, une dévalorisation de la valeur civilisationnelle du travail qui a déteint sur tout le système national qu’on doit pointer du doigt. Parce que le système de santé fait partie d’un tout, où tout est lié ».
Cela n’absout pas pour autant le système sanitaire algérien de ces manquements : «Il y a une dégradation certaine du système préventif en Algérie ; le ministère de la Santé a été dénommé il y a seize années, en 2002, ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière, mais jusqu’à quand va s’allonger cette réforme ? La réforme a un temps imparti pour corriger et améliorer, fixer ses objectifs et les atteindre, elle n’est pas flexible dans le temps à l’infini. Pire, au lieu de la réforme envisagée, nous assistons à une quasi-régression du système sanitaire». Un cas concret ? «Prenez par exemple le cursus médical des années 1970 et l’actuel ; les différences sautent aux yeux ; la formation était autant solide tant au plan théorique qu’au plan de la pratique sur le terrain. Pour avoir plus de médecins, le système de santé à amoindri les années d’études, puis les a, d’années en année, résumées ; au final, le déclin de la formation a déteint sur la qualité des médecins».
Une des causes de ce recul est «l’autosatisfaction». «Il est vain et dangereux à la fois de vanter ses propres programmes et se suffire de son regard sur les choses. La critique permet d’avancer, de grimper plus haut et de voir toujours plus clair. Il n’y a pas pire déliquescence que l’autosatisfaction».
Plus agressif encore : «Je pense même qu’il y a une certaine régression au niveau du mental chez nos responsables. Avez-vous entendu ce haut responsable qui justifiait l’épidémie du choléra par sa banalisation, et en arguant qu’elle est aussi présente dans d’autres pays ? Puis ce Monsieur cite le Yémen, le Mali et le Niger ! Vous avez vu ? Comparer l’Algérie, qui avait totalement éradiqué cette maladie depuis plus de deux décennies, à des pays en guerre ou en difficultés chroniques, est en soi une régression ! »
Alors, que faut-il faire ? «J’en appelle au président de la République pour la création d’un «Institut de veille sanitaire» ; un tel mécanisme qui regroupe des sommités dans diverses branches disciplinaires existe ailleurs, dans les pays les plus avancés. Cela doit devenir une priorité. Un État d’institutions, une politique sanitaire nationale, voilà ce qu’il nous faut ! »
Le mot de la fin ? Cette recommandation qui va faire jaser ses confrères : « Il nous faut une politique générale, intégrée dans un système de sécurité nationale, car voyez-vous, la médecine est une chose bien trop importante pour la laisser entre les seules mains des médecins ! »
F. O.

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