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Farouk Ksentini : «La réconciliation ne doit laisser personne au bord de la route»

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 Se montrant tantôt formel, tantôt hésitant, Farouk Ksentini estime, dans cet entretien qu’il nous a accordé hier par téléphone, que la Réconciliation nationale a atteint ses objectifs à 95%. Le président de la Commission nationale consultative de la protection et la promotion des droits de l’Homme (CNCPPDH), se dit aussi favorable pour une amnistie générale, et ce, a-t-il dit, afin de tourner définitivement la page de la Tragédie nationale. Selon lui, il est fort possible que le président de la République décide d’entamer cette démarche (l’amnistie, ndlr). Pour ce qui est des disparus, l’avocat suggère de donner un statut à ces derniers et à décréter, éventuellement, une journée nationale pour eux.

– Le Courrier d’Algérie : Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a déclaré jeudi dernier devant les journalistes que le dossier de la Réconciliation nationale n’était pas clos. Quelle lecture en faites-vous ?
– Farouk Ksentini : La charte nationale, dans son article 46, confère au président de la République le droit de prendre des mesures complémentaires. Donc, je pense que c’est dans cette perspective que s’est exprimé le chef de l’Exécutif car, je le répète, il appartient au chef de l’État d’introduire des mesures complémentaires dans le texte en question. Cela, bien sûr, si ce dernier juge que celles-ci s’imposent pour parachever le processus de la Réconciliation nationale. En d’autres termes, Abdelmalek Sellal n’a fait que rappeler, indirectement, les dispositions de ladite Charte. La balle est, pour ainsi dire, dans le camp du président de la République.

– Qu’entendez-vous par mesures complémentaires ?
– En évoquant les mesures complémentaires, je parle surtout des victimes du terrorisme qui ont subi uniquement des dommages matériels. C’est-à-dire, ceux qui ont perdu leurs maisons, leurs usines, leurs cheptels… Je parle également de ceux qui n’ont pas été suffisamment pris en charge, ainsi que des internés du Sud qui ne sont pas dédommagés. Toutes ces catégories doivent être prises en charge et leurs dossiers doivent être complétés de manière à ce que les choses rentrent dans l’ordre, et ce, au bénéfice, bien entendu, des victimes du terrorisme et de la Tragédie nationale.

– Justement, d’aucuns soutiennent mordicus que les déclarations du Premier ministre sonnent comme un message clair, quant au fait que l’État a, peut-être, l’intention d’aller vers une amnistie générale. Votre commentaire ?
-C’est très possible. L’amnistie générale est une mesure politique. Et, du coup, elle ne peut être procédée que de la volonté du président de la République. Donc, si ce dernier prend la décision d’aller vers une amnistie générale, je ne vois pas où est l’inconvénient. D’autant plus que cela se fait dans d’autres pays. Nous sommes un pays comme les autres ! Mais, encore une fois, je tiens à rappeler que cette décision relève des prérogatives, et aussi de la libre appréciation, du Premier magistrat du pays.

– Mais, vous avez toujours plaidé pour une amnistie générale. C’était même une des revendications phares que vous souleviez à un moment donné…
– Moi, personnellement, je ne regarde pas l’aspect de l’impunité. L’inconvénient de cette dernière est que beaucoup de crimes vont rester impunis. Cela étant, il faut mettre les intérêts supérieurs du pays au-dessus de tout cela. Ces intérêts nous obligent en effet à tourner définitivement la page de la Tragédie nationale et à s’attaquer aux vrais problèmes, à savoir ceux ayant trait au développement. Plusieurs pays nous ont devancés sur ce plan puisqu’ils ont pris des décisions pour mettre un terme à ce problème. Je vous cite, entres autres, le Mexique et l’Argentine.

– La levée de l’interdiction de sortie du territoire pour les anciens dirigeants du parti dissous, le FIS en l’occurrence, a été aussi interprétée comme étant un signal fort, quant au fait que l’idée de l’amnistie générale pourrait se cristalliser de manière progressive. Qu’en pensez-vous ?
– Oui, on peut l’interpréter ainsi. Mais, franchement, je pense que si cette mesure n’est pas décrétée par une décision de justice, celle-ci est considérée comme étant inopportune. C’est donc une mesure illégale, à ma connaissance. En d’autres termes, toute personne qui n’est pas concernée par une décision de justice, suivie par un retrait de son passeport, a le droit de voyager. La liberté de circulation est un droit constitutionnel.

– Toujours en ce qui concerne le projet de la Réconciliation nationale, le Premier ministre a laissé entendre que celui-ci comportait des «lacunes» et des «insuffisances»…
– Bien évidemment. Aucun projet n’est parfait. Il y a toujours des lacunes quelque part. Il faut seulement avoir du courage pour reconnaître que ce projet comporte des «insuffisances”. Et Sellal a justement eu la lucidité de le dire. Vous savez, tout comme moi, que ce texte a été élaboré sous pression. C’était rapide. Il est donc normal qu’il comporte des lacunes car toute chose qui est faite, je dirai, dans la précipitation doit être inévitablement revue.

– Et quelles sont les lacunes qu’il faut absolument prendre en charge, d’après vous ?
-Écoutez ! Moi, je pars d’un principe très simple : il faut que la Réconciliation ne laisse personne au bord de la route et qu’elle ne marginalise aucune partie. Il faut qu’elle implique le maximum de personnes. Il faut donner satisfaction à tout le monde, notamment les catégories qui n’ont pas été prises en charge.

– Pour revenir au dossier des disparus, qui est très complexe, quelles sont concrètement vos suggestions ?
– C’est un dossier qu’on peut compléter, voir et, même, revoir. C’est un dossier, comme vous l’avez si bien souligné, complexe. Car, c’est difficile de poursuivre en justice des agents qui ont fait leur travail conformément aux lois de la République et, en parallèle, pardonner aux terroristes. Il faut donc qu’il y ait un équilibre. Maintenant, vous me posez la question sur les suggestions, moi, je dirai simplement qu’il faut y réfléchir. Néanmoins, je pense qu’il serait bien de donner un statut à ces derniers et à décréter une journée nationale pour eux. Il faut aussi qu’on sache que les disparus ne sont pas des terroristes. Ils sont des victimes de la Tragédie nationale. Et la Charte de réconciliation les classe, ainsi, dans ses textes.

– Si on vous demande, enfin, de nous livrer votre appréciation par rapport au projet de la Réconciliation nationale de manière générale ?
– Je dirai que c’est une réconciliation rebelle. Car le dossier est vraiment complexe. Jusqu’à présent, les choses n’ont pas été si mal conçues. C’était difficile de mener ce projet à bon port. Mais là, on peut se féliciter que celle-ci a atteint ses objectifs à 95%. C’est un fait avéré.
Entretien réalisé par Soufiane Dadi

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