Accueil Culture+ Exposition : Ahmed Mébarki, des subtilités de la bénédiction à la grâce...

Exposition : Ahmed Mébarki, des subtilités de la bénédiction à la grâce de l’inspiration et de la foi

0

L’artiste plasticien Ahmed Mébarki expose à la Villa Abdelatif. Son œuvre nous interpelle par sa profondeur et son exigence, son articulation sur une pensée profonde et une connaissance solide des techniques de l’art, renforcées par une certaine expérience qui se décline en une grande production d’œuvres.

Par Ali El Hadj Tahar

Mébarki ne se contente pas de peindre, dessiner et sculpter : il écrit sur son travail d’artiste, pour donner des pistes d’interprétation et de sens. En tant qu’artiste sa démarche répond donc à l’exigence de Marcelin Pleynet, le philosophe français qui considère comme fondamentale l’articulation théorique de l’art. L’exposition s’intitule « Lata’if el-baraka, Les subtilités de la bénédiction », un titre qui est né spontanément dans une discussion avec son amie (Myriam) qui lui posa la question : “Quel titre donneras-tu à toutes ces beautés, dans le sens d’une exposition ?” Faisant directement le lien avec le soufisme, qui est une vision ésotérique et mystique de l’islam et qui est en même temps une voie d’élévation spirituelle par le biais d’une initiation, Mébarki parle d’abord de Baraka, ou bénédiction, mais ce terme peut signifier le Bien ou même providence, dans le sens de ce qui est béni ou donné par Dieu. Ce mot est essentiel dans le monde du soufisme puisque le travail d’artiste de Mébarki est intimement lié à cette spiritualité d’où il puise d’ailleurs toute son inspiration, sa démarche et son énergie, nous dit-il. Le nom de l’artiste est d’ailleurs issu de la racine baraka.
Depuis des années, Mébarki travaille sur de longues séries d’expériences plastiques. «L’art pour moi est un cheminement», dit-il. Et cette rencontre entre art, mysticisme et religion n’est pas seulement pour lui une source d’inspiration mais une grâce, une «Khalwa», dit-il. «Dans ces pratiques, il ne s’agit pas seulement de peindre ou dessiner, et en ce sens la palette des verbes pour l’art est très riche, voire sans aucune limite. Livrer, transcrire, effacer, détruire, déchirer, coller, féconder, sculpter, parler, raconter, rêver, prier, secréter, voiler, dévoiler, caresser… Je vis l’inspiration attentivement et tout le labeur est dans la démarche, cette chose que nous travaillons à l’intérieur de nous-mêmes ou peut être qui nous travaille bien aussi. Alors : L’amour divin, Portraits de Saints, Hommage à Abu Madian, Vide de la sainteté, Les graines du monde, Mosaïque spirituelle, Maqam Qalam Al Waliy, Qabadhat el azal [Ancrages d’éternité], La femme est une pureté spirituelle, La Mer, Peintures ratées… sont autant de titres sur lesquels circumambulent mes créations », écrit Mébarki. Son œuvre n’est pas puisée dans le souk du mimétisme et des idées toutes faites, ni empruntée aux innombrables modes en vogue dans le monde et encore moins dans le supermarché de l’art dit contemporain. Elle s’articule sur une réflexion et non pas sur des idées hétéroclites ; elle se base sur une véritable pensée elle-même centrée sur une spiritualité profonde, qui puise son inspiration dans les livres et les enseignements des anciens, des soufis comme des marabouts de notre pays dont la pensée religieuse remonte très loin dans le passé et qui a rayonné jusque dans les lointaines contrées d’Afrique comme en atteste, par exemple, l’enracinement de la zaouia El Alaouia, ancrée même au Sénégal. Mébarki poursuit : «J’ai alors emprunté «El-loutfa», qui veut dire la subtilité (quelque chose de très signifiant dans le langage soufi) de la prestigieuse villa Dar Abd Altif qui, pour moi, à travers son histoire se charge de belles ondes et dont la belle architecture ressemble beaucoup à celles des lieux de sainteté, comme on en trouve un peu partout dans notre pays. Donc subtilités que j’ai accordées avec la Baraka qui réunit de multiples expériences d’art fécondes. J’ai choisi de chaque série quelques pépites. »
Grâce, subtilité, Baraka, trois maitres mots dans l’art d’Ahmed Mebraki pour qui l’œuvre est issue d’une spiritualité qui perpétue la richesse de la tradition, les enseignements des maitres soufis et autres des savants d’un islam qui a non seulement donné une croyance mais une manière d’être dans la vie, avec l’environnement et le monde qui nous entoure, jusqu’aux choses les plus petites, qui sont à respecter, à protéger. Les symboles de cette foi et de cette conscience sont donc mis en valeur par l’artiste. Le vert est présent dans cette œuvre, dans la mesure où il a d’innombrables significations en islam puisqu’il symbolise non seulement le paradis mais la vie sur terre. D’ailleurs, un passage du Coran décrit le paradis comme un endroit où les gens «porteront des vêtements verts en soie fine». Le vert, ce qualificatif qui revient souvent dans le Coran, est aussi le symbole de l’immortalité, de la fertilité et en opposition avec l’aridité. Des récits avancent que la bannière utilisée par le Prophète Muhammad (QSSSL) lors de son arrivée à La Mecque était verte. Selon un Hadith, le blanc fut sa couleur favorite mais il portait parfois un manteau et un turban verts. Mebarki écrit : «Il y a toujours ce tissu vert qui revient dans mon monde, je l’appelle le tissu de la sainteté […] et il donne un cachet spécial pour exprimer le spirituel par excellence. D’ailleurs, on la trouve souvent dans beaucoup de traditions universelles. Notamment, en islam, dans tous les mausolées on en trouve ce vert qui couvre le Wali dans sa demeure. Même chez Notre Noble Prophète et ceci n’est pas fortuit, disent les anciens…»

29 œuvres comme les 29 lettres de l’alphabet arabe
Dans les 70 œuvres récentes exposées, l’artiste mêle peinture, dessin et sculpture en les ponctuant d’une petite installation intitulée «  Maqam Qalam Al Wali ». Mais commençons d’abord par la « Mosaïque Spirituelle », qui regroupe 29 petites peintures réunies sur un fond vert. Ce n’est pas un diptyque ni un triptyque ni un quadriptyque mais un ensemble de 29 sous-verres, qui sont une invitation «à l’inspiration elle-même». «A partir de là, nous pouvons cheminer vers l’œuvre dans un détail, dans une inscription, une disparition, un jet de couleur, visages, une silhouette, une lettre, un soupçon de présence, un texte, un vol dans un néant, une forme retentissante, une rencontre, un élan, une expression… L’œuvre dans tous ses états», écrit l’artiste. Cette «Mosaïque Spirituelle» réunit des morceaux épars, des peintures comme des idées de peinture mais qui sont solidaires «comme les 29 lettres arabes».
Et puis il y a le bâton, qui renvoie à Moïse, puisqu’en religion comme en art il y a toujours des liens. Mébarki écrit : « Pour l’artiste le bâton reste bel et bien son outillage voire, son pinceau à travers lequel il s’entretient avec et en lui-même en faisant ses voyages pour tout résumer. Ainsi je nourris aussi mon petit agneau blanc, enfin comprenez, je parle de la peinture. Dans cette blancheur vierge je jette mon incompréhensible, mon insaisissable, souvent un tas de noirs épais, qui rend mes supports lourds et je me dis ainsi peut-être j’en apercevrai un trait de mystère ? De lumière ? Et d’autres ? Dans d’autres fenêtres il se peut qu’il s’agisse aussi d’une histoire de rien du tout, d’une expérience insignifiante, absurde ainsi tout peut se conjuguer… L’art c’est une question de profondeur ! »
La série « L’Amour divin » « est faite à partir de mes réelles vieilles lettres d’amour. J’aime et j’aimais depuis toujours en écrire mais sans jamais les envoyer, je les garde jalousement pour moi-même. Depuis quelques temps, ces lettres deviennent mon support sur lequel je peins. (La première fois c’est en 2014 que j’ai collé une lettre en guise de fenêtre sur une toile). Je les déchire soigneusement jusqu’à me réjouir de la musique qu’elles produisent. Toutes les lettres deviennent une comme toutes les lettres viennent d’une. Mes supports peuvent avoir toute une archéologie de l’amour ce n’est pas cette indifférence de matières mortes et sans histoires sans vie qu’on peut acheter n’ importe où. L’amour est la plus belle des expériences en cette vie. Aujourd’hui, j’envoie ainsi ces lettres à toutes les femmes, je les trouve réunies en moi et leur Amour est divin. Le Noble Prophète (QSSSL) n’a-t-il pas dit : «Trois choses m’ont été données à aimer dans ce monde : les parfums, les femmes et la prière qui est la fraicheur de mes yeux » ! Et c’est Ibn Arabi, Al Cheikh Al Akbar qui disait : «Regarde la place éminente qu’il a donné à la femme, entre la subtilité du parfum et le dialogue avec Dieu à travers la prière». Je dirais bien qu’Elle est unique, singulière et s’appelle LAYLA», écrit Ahmed Mébarki. «Maqam Qalam Al Waliy» est un réel maqâm d’un Stylo bien spécial, appartenant à un Wali que j’ai hérité », écrit Mébarki qui ajoute : « Al Qalam est une grande symbolique qui peut nous renvoyer jusqu’au Noble Prophète (QSSSL). Suivi d’un tableau exécuté avec ce même Qalam juste avant de le mettre dans son mausolée… J’invite par-là les gens pour la Baraka et qui peuvent même faire une ziara comme dans la tradition soufie. N’est-ce pas là une façon contemporaine d’aborder le soufisme et l’art à la fois ?» A l’heure où des actions intolérantes issues de sectes extrémistes des deux bords tentent de remettre en question les marabouts et les saints qui ont permis à l’islam de rayonner et de se perpétuer dans notre pays, Mébarki considère ceux-ci comme une source de sagesse et de spiritualité. Son petit mausolée est « conçu pour quelque chose de grand ». « Il s’agit, écrit-il, d’un Qalam spécial d’un Grand Wali Allah. Je l’ai gardé jalousement pendant des années, un jour m’est venue l’inspiration d’en réaliser une œuvre. Simplement, Je l’ai précieusement mis dans le mausolée vert que je lui ai conçu avec beaucoup de soins. Surmonté sur une boite qui a une petite ouverture pour recevoir les « Wa3dates » comme ça se fait dans la tradition soufie. Une façon d’interpeller le visiteur peut-être. A travers cette œuvre, je rends hommage pour Tous les Saints connus et inconnus. Le Qalam est très évoqué dans la spiritualité musulmane, la tradition raconte que la première chose que Dieu a créé fut le Qalam, et Il lui dit: « Ecris ! » Il dit alors : «Et qu’écrirai-je mon Seigneur ?» Il dit : « Ecris les destinées de toute chose jusqu’à ce que se tienne la fin du monde». Par une certaine analogie, la beauté du monde n’est que traces de ce Qalam… L’artiste est celui qui essaie d’en saisir le secret. Il y a aussi une œuvre qui accompagne ce Maqam, il s’agit d’un ultime dessin que j’ai réalisé avec l’encre sacrée du Qalam juste avant de le mettre dans sa demeure.il faut dire que c’est fait pendant un moment plein d’intuition. Au format raisin sur un fond vert, on peut le contempler pendant la Ziara.» Mébarki Ahmed est né le 3 février 1985 à Tizi Ouzou, il est diplômé de l’Ecole Régionale des Beaux-Arts d’Azazga, en 2011, et se consacre entièrement à son art d’autant qu’il dispose d’un atelier qu’il est en train d’aménager…
A. E. T.

Programme virtuel du TNA du mois d’octobre
Le texte théâtral à l’honneur
Le programme virtuel du Théâtre National d’Alger se poursuit durant ce mois d’octobre, avec la tenue sur sa page facebook des « Al-Majaliss al-Iftiradhiya », des rencontres virtuelles hebdomadaires du TNA, animées et coordonnées par l’écrivain et journaliste Abderrazak Boukkeba. Elles mettent le texte théâtral à l’honneur, sur les plans de l’écriture, de la recherche et de la critique, en proposant des lectures de textes suivies de communications de critiques et universitaires.

Le programme du mois d’octobre s’organise comme suit :
Samedi 3 octobre 2020
Kafanou el brocard
Texte de Mohamed El Amine Ben Rabie (Bousaâda)
Lecture critique : Pr. Farouk Daoudi
Samedi 10 octobre 2020
Al Qilada al-âadjiba
Texte de Mazen Farrah (Tébessa)
Lecture critique : Dr. Lakhdar Mansouri
Samedi 17 octobre 2020
Arrajoulou al-midhalla
Texte de Youcef Baâloudj
Lecture critique : Dr. Lakhdar Mansouri
Samedi 24 octobre 2020
Sayaratou abi
Texte de Omar Mohamed Bakir (Relizane)
Lecture critique : Mohamed Frimahdi

Article précédentNouveau stade d’Oran : La réfection de la pelouse presque achevée
Article suivantCovid-19 : La situation continue de se dégrader en Europe