Un an après avoir été proclamé «calife» de tous les musulmans par son groupe Etat islamique (EI), Abou Bakr Al-Baghdadi demeure un personnage énigmatique qui préfère l’ombre à la lumière. Baghdadi est aujourd’hui l’un des hommes les plus recherchés de la planète, les Etats-Unis offrant 10 millions de dollars pour sa capture. Mais il reste introuvable et invisible, alors même que l’EI a développé un vaste arsenal médiatique en diffusant de multiples photos ou vidéos de ses offensives et exactions. «Il est plutôt remarquable que le chef du groupe terroriste le plus soucieux de son image soit si discret», souligne Patrick Skinner, du cabinet de consultants Soufan Group. En un an, le «calife Ibrahim» n’est en effet apparu que sur une seule vidéo, diffusée en juillet 2014 après avoir été filmée dans une mosquée de la ville irakienne de Mossoul. Portant barbe grise, turban et abaya sombres, il ordonne à tous les musulmans de lui «obéir», quelques jours après la proclamation du «califat» sur les larges territoires sous son contrôle à cheval entre la Syrie et l’Irak Depuis le début des frappes de la coalition internationale menée par les Etats-Unis en août, il n’est plus réapparu à l’image et n’a diffusé que deux enregistrements sonores, après des rumeurs le donnant blessé voire tué dans des raids.
Baghdadi «a une dimension mystérieuse qui vient du fait qu’il a survécu à de multiples tentatives pour le faire disparaître», indique Aymenn al-Tamimi, expert au Middle East Forum.
«Dimension mystérieuse»
Il semble «avoir réalisé beaucoup plus de choses de façon concrète» que la «vieille garde» jihadiste dont son rival, le chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri.
Selon un document des services secrets irakiens, Baghdadi, né en 1971 à Samarra au nord de Bagdad, a un doctorat en études islamiques et a été professeur à l’université de Tirkrit (nord). Il a eu quatre enfants -deux garçons et deux filles- avec sa première femme entre 2000 et 2008, puis un autre fils avec sa deuxième femme.
Il a rejoint l’insurrection en Irak peu après l’invasion américaine en 2003, et aurait été incarcéré dans un camp de détention américain. Les forces américaines avaient annoncé en 2005 la mort d’Abou Douaa -un de ses surnoms- dans une frappe. Mais il est réapparu en 2010 à la tête de l’Etat islamique en Irak (ISI), branche irakienne d’Al-Qaïda. Baghdadi est ensuite parvenu à transformer ce groupe -acculé un temps par la stratégie anti-insurrectionnelle américaine soutenue par des tribus sunnites- en la plus puissante, riche et brutale organisation jihadiste au monde. Profitant de la guerre civile en Syrie et de l’instabilité en Irak, son organisation prend pied dans le premier pays en 2013, avant de lancer en juin 2014 une offensive fulgurante chez le voisin irakien. Avant cela, il s’était affranchi d’Al-Qaïda, Baghdadi rejetant l’ordre de Zawahiri de se concentrer sur l’Irak et de laisser la Syrie au Front Al-Nosra.
«L’islam, la religion de la guerre»
Accusé de crimes contre l’Humanité par l’ONU, l’EI a tué des milliers de militaires, combattants et civils, attaqué des minorités tels les Yazidis, vendu des femmes comme esclaves et revendiqué la décapitation de plusieurs journalistes et humanitaires occidentaux dans des vidéos terrifiantes. Fort de dizaines de milliers d’hommes, ce groupe extrémiste sunnite contrôle aujourd’hui 50% de la Syrie et de vastes régions en Irak. Baghdadi y est salué comme un commandant et un tacticien présent sur le champ de bataille, contrairement à Zawahiri. Son parcours diffère également de celui d’Oussama ben Laden, qui avait développé Al-Qaïda grâce à sa fortune et était connu internationalement bien avant les attaques du 11 septembre, notamment grâce à des vidéos. «Son accession à la célébrité ne peut se comparer à celle des autres chefs terroristes. Le nom (ben Laden) était célèbre, (ce dernier) mettait en scène sa piété», note M. Skinner. Baghdadi au contraire «évite la lumière» et parle dans ses discours «de son califat et de ses ennemis, pas de lui-même». Dans son dernier enregistrement diffusé le 14 mai, il exhortait ainsi les musulmans, soit à rejoindre le «califat» soit à mener la guerre sainte dans leur pays. «L’islam n’a jamais été la religion de la paix, l’islam est la religion de la guerre», martelait-il.